Avec ses soixante-quatre labomaths répertoriés à la rentrée de septembre 2023, l’académie de Lille occupe la première place dans le déploiement national de ce dispositif en collège et lycée, y compris – comme le précise Charles Torossian1 – lorsque l’on ramène ce nombre à sa population scolaire. Plus de 130 établissements, du premier et plus généralement du second degré, sont impliqués dans cette dynamique, mobilisant autant de chefs d’établissement, d’inspecteurs, ou autres référents mathématiques de circonscription2. Face au caractère protéiforme de cette communauté et des labomaths eux-mêmes, des enjeux de pilotage se dégagent : implantation d’une culture commune, définition des mathématiques de laboratoire, développement d’une dynamique de réseaux, ouverture et partenariats avec la recherche et l’international…

Deux jours de rencontres, d’échanges et de partage

Pour répondre à ces enjeux, un forum académique des labomaths s’est tenu les 7 et 8 novembre derniers sur le site de la cité scientifique de l’université de Lille. LILLIAD Learning center a accueilli ces deux jours 150 enseignants, 20 conférenciers ou animateurs, 10 associations partenaires. Soutenu par l’école académique de formation, l’événement a été conçu dans un esprit de rencontre, de partage, de mutualisation, et de développement de compétences.

Des temps communs ont mis en lumière ce qui unit et rassemble les acteurs des labomaths autour d’enjeux partagés : la réussite de nos élèves dans les domaines scientifiques, leur orientation en adéquation avec les évolutions sociétales, économiques, technologiques. Cet objectif majeur pour l’avenir de la nation est sous-tendu par une exigence de formation des enseignants eux-mêmes, et de leur développement professionnel au sein d’un collectif. C’est pourquoi cette dimension a été au cœur des présentations et réflexions de la première journée, afin d’imprégner la communauté d’un sentiment d’engagement et d’appartenance, de co-développement d’une « culture labo » impliquant une propension à expérimenter, analyser, produire, partager. Cette dynamique a été généreusement enrichie des interventions de chercheurs, comme Fabien Emprin de l’IREM de Reims pour ses travaux sur le développement professionnel collectif en mathématiques, et Vincent Calvez, directeur de recherche au CNRS pour ses travaux sur les « mathématiques de la propagation en sciences de la vie » et ses participations à de récentes expérimentations en milieu éducatif.

Mais comme souvent en matière de formation et d’éducation, énoncer, expliciter, et même convaincre ne suffisent pas. Il faut des exemples ! Ce sont des labomaths eux-mêmes qui avaient la charge d’animation d’ateliers de partage d’expérience, exposant ainsi des déclinaisons pratiques et opérationnelles d’un collectif apprenant au sein d’une école et engagé auprès des élèves. Qu’ils soient implantés en collège, lycée général et technologique, lycée professionnel, cité scolaire, qu’ils relèvent de l’éducation prioritaire ou non, les labomaths ont pu détailler leur feuille de route, afficher leur ancrage territorial, dévoiler leurs actions, rapporter leurs travaux de production, exprimer leurs difficultés et invoquer des leviers de dépassement. Ce sens du partage tient de la quintessence de cette « culture labo ». Si ces partages peuvent impressionner les nouveaux acteurs en quête de vision ou d’accompagnement, ils ont surtout la vertu de montrer le champ des possibles, d’inspirer de la confiance, d’insuffler de la motivation afin d’accompagner la dynamique de réseaux et de déploiement de l’activité des labomaths.

Le labo « Lewis Carroll »

C’est un exemple, propre à l’académie de Lille, d’une expérimentation et d’une évolution possible d’un labomath implanté en collège. On aurait pu citer le labomath « connecté », le labo « flexible », ou encore le laboratoire « de territoire ». Mais le label « Lewis Carroll » répond à une orientation académique assumée, et souligne le caractère pluridisciplinaire d’un collectif mobilisé autour du développement de la logique et de l’esprit critique chez nos élèves. Car la logique ne relève pas uniquement du monde mathématique et scientifique, mais se nourrit autant de chaque matière qu’elle contribue en retour transversalement à leur apprentissage. Son approche globale et transdisciplinaire favorise notoirement la maîtrise de multiples connaissances et compétences.

Si le grand public, tout comme nos élèves, reconnaît l’auteur des aventures d’Alice au pays des merveilles, il ignore généralement tout du mathématicien et logicien Charles Dodgson que dissimule l’alias Lewis Carroll.

Ce laboratoire est donc porté par un labomath. Il en en garde les grands principes, notamment de formation permanente, de développement professionnel, d’expérimentation pédagogique et de production de ressources. Implanté en collège, il se situe au carrefour de l’école primaire et du lycée, et a vocation à considérer le parcours complet de la scolarité des élèves. C’est un labomath auquel s’agrègent de manière élargie d’autres disciplines. Il engage donc un travail et une démarche réflexive autour de la logique et plus globalement de la pensée logique et de l’esprit critique, traitée dans une approche transversale et dans une dimension transdisciplinaire notamment au travers de projets interdisciplinaires, partagés et complémentaires. C’est un lieu d’expérimentation pour les professeurs du collège lors de séances de réflexions entre pairs et un lieu de création de ressources didactiques et pédagogiques à destination des élèves et des professeurs.

Le concept de laboratoire « Lewis Carroll » a donné lieu à une production collective de l’ensemble des corps d’inspection du second degré qui a permis une première expérimentation en territoire d’éducation prioritaire. Dès cette année 2024, de nouveaux laboratoires Lewis Carroll verront le jour et bénéficieront d’un accompagnement spécifique des corps d’inspection et d’enseignants chargés de missions spécifiques.

Des partenariats internationaux

Les ouvertures culturelles et interdisciplinaires ne sont pas les seules opportunités de développement présentées lors du forum. Trois délégations européennes ont participé à l’événement au titre de leur expertise étrangère et fort de leurs partenariats avec des labomaths de l’académie de Lille.

L’université de Berlin et le Herder Gymnasium de Berlin ont pu ainsi interagir avec le labomath « Galileo » du collège Jean Jaurès de Lens. Des échanges de pratiques ont pu être conduits en classe, parallèlement à la tenue du forum.

Le liceo Momentano de ROME est un établissement au statut particulier de Liceo Matematico (lycée mathématique), ce qui constitue une nouveauté en Italie. Cette appellation signifie qu’au sein du lycée est menée une expérimentation didactique visant à renforcer la place des mathématiques et à valoriser l’unité du savoir grâce à l’interdisciplinarité. Le liceo Momentano pratique l’éducation au regard dans une discipline à part entière acceptée au sein de l’établissement. Le liceo Nomentano joue donc un rôle de laboratoire, associé par convention partenariale à l’université « Sapienza » de Rome. C’est ainsi que le labomath « Claire Voisin » du Lycée Wallon de Valenciennes s’est engagé dans une mission Erasmus+ à Rome dont le retour a été exposé au cours du forum.

Enfin, la Haute école pédagogique du canton de Vaud, située à Lausanne, était représentée entre autres par Thierry Dias, son recteur. Son intervention faisait écho à une mission scientifique de prospective menée sur place par une délégation académique de pilotage du Plan mathématiques, insistant sur l’importance d’une mise en réseau, de partage de productions et de ressources issues d’un travail d’expérimentation fondée sur la recherche.

Cette démarche initiée en janvier 2023 a fait émerger des domaines d’intérêt commun :

  • Enseigner et apprendre les mathématiques autrement ;
  • Développer des activités de recherche et de formation autour des pratiques d’enseignement et du développement professionnel des enseignants de mathématiques ;
  • Mutualiser et co-construire des ressources de contenus d’enseignement et de pratique des mathématiques ;
  • Mutualiser et co-construire des organisations et contenus de formation des enseignants de mathématiques pour faire des mathématiques autrement.

Elle a aussi permis de dépasser les différences d’approches et de mise en œuvre des laboratoires de mathématiques de chaque côté de la frontière, de faire converger des perspectives matérialisées et formalisées à travers la signature d’une convention partenariale.

Cette démarche s’appuie sur la notion commune de mathématiques dites « de laboratoire », mathématiques dont la définition et le périmètre constituent en eux-mêmes un domaine d’étude et de recherche à explorer.

Du laboratoire de mathématiques aux mathématiques de laboratoire

C’est encore l’un des points saillants que le forum académique des labomaths s’est attaché à explorer. Le forum a voulu souligner la nécessité d’appréhender l’activité du laboratoire par le contenu, la démarche et les apprentissages mathématiques développés en son sein par les professeurs et en direction des élèves. Cette perspective peut encore se formuler de manière analogue et plus générale par un intérêt et une réflexion portée sur la nature des mathématiques qui sont développées et produites au sein des laboratoires dans toute la variété de leurs typologies, de leur implantation géographique, de leur taille, de leurs thématiques de travail ou encore leur niveau de maturité.

Ainsi les contours et les enjeux de la notion de « mathématiques de laboratoire » ont-ils été définis par :

  • Une dimension exploratoire, qui traverse les champs disciplinaire, didactique, et pédagogique. Le déploiement des expérimentations par les élèves, notamment au travers d’approches manipulatoires et sensibles des objets mathématiques, émane d’une démarche de réflexion des enseignants, soutenue par de la production et de la mutualisation de ressources ;
  • Un terrain d’actions de recherche et de formation qui embrasse dans une même dynamique le domaine professionnel de l’enseignant et l’activité des élèves en classe, à travers les objets, supports et pratiques d’apprentissage ;
  • Une possible approche par thématique transversale. En effet, les enjeux portés par les mathématiques de laboratoires dépassent le seul champ disciplinaire pour nourrir la réflexion et faire évoluer les pratiques au service de priorités transversales telles que :
    • La maîtrise des fondamentaux ;
    • L’inclusion ;
    • L’excellence ;
    • L’égalité filles-garçons ;
    • La culture numérique…

Le plus bel exemple de ces mathématiques de laboratoires a sans doute été offert par Stéphane Mallat3, intervenant depuis New-York, pour présenter le programme MathAData dédié à l’enseignement des mathématiques en lien avec l’analyse de données et l’intelligence artificielle et le partenariat de co-développement autour de ce programme à l’œuvre entre l’école normale supérieure et le collège de France d’une part et l’académie de Lille d’autre part.

L’approche proposée ouvre les portes d’une mobilisation progressive de laboratoires de mathématiques de lycée lillois autour d’approches innovantes de l’enseignement des mathématiques en lien avec les métiers d’aujourd’hui et de demain et la place essentielle qu’y jouent les mathématiques. Cette démarche d’excellence s’inscrit également dans le continuum Bac-3/Bac+3, au profit de l’ambition et de la réussite de toutes et tous les élèves et de leur future insertion professionnelle. Elle permet par ailleurs d’établir un modèle de développement professionnel des enseignants de mathématiques en s’appuyant sur la science des données et l’intelligence artificielle mais aussi le développement de nouvelles compétences et connaissances des élèves autour de ces deux champs en lien avec les enjeux technologiques, sociétaux, économiques et professionnels d’aujourd’hui et de demain.

Cette expérimentation et le co-développement de ressources fondés sur les expertises scientifique et pédagogique respectives de chercheurs et d’enseignants prend dans une première phase appui sur 4 établissements lillois, dont 3 hébergeant un laboratoire de mathématiques. Ces travaux et leurs perspectives feront l’objet d’un prochain article sur CultureMath.

Pour des vidéos et informations complémentaires sur le forum : https://forum-labomaths.site.ac-lille.fr/