CultureMath : Quel a été votre parcours scolaire ?
F. Napolitano : Première S, Terminale C ( la ``TS option math'' de l'époque), math sup' et math spé M', puis l'Ecole Normale Supérieure, et une thèse à l'Université Paris VIII-Dauphine sous la direction de V.I. Arnold.

CultureMath : Pourquoi ce parcours ?
F. Napolitano : j'appréciais les maths, mais également les autres matières. Je dois dire que j'ai suivi le chemin qu'on me présentait comme étant la voie royale : ``fais une Première S, après plus de portes te seront ouvertes, et tu pourras faire ce que tu veux'', puis le même discours avec la terminale C, la prépa, l'ENS... (Rire) De plus j'avais le sentiment que les maths étaient la matière la plus facile: il n'y avait rien à apprendre, il suffisait de retrouver les formules au bon moment.

CultureMath : Des professeurs ont-il influé sur votre gôut pour les maths, sur vos choix ?
F. Napolitano : Beaucoup ! Tout au long de ma scolarité, j'ai eu pas mal de bons profs qui m'ont fait aimer les maths et devenir bon en maths; sans eux, je n'aurais pas atteint mon niveau.

CultureMath : A votre entrée à l'ENS, vous destiniez-vous à la recherche en mathématiques ?
F. Napolitano : Oui, au début, mais je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. Jusqu'à 40 ans, peut-être. Puis j'ai changé d'avis assez vite, et me suis intéressé à l'économie, qui me paraissait plus ouverte sur le monde ``réel''. De plus, s'y connaître un peu permet de mieux comprendre la société, et d'éviter de subir la tyrannie intellectuelle de "ceux qui savent". Maintenant je me dis que je recommencerai la recherche mathématique pure à 60 ans !

Culturemath : Quelle différence cela fait-il de faire des maths dans ses jeunes années ou à un âge plus mûr ?
F. Napolitano : Pour beaucoup de gens, les mathématiques ont, à l'instar de la poésie, une image qui souffre du "syndrôme rimbaldien" : il faut être jeune pour avoir la puissance nécessaire pour pouvoir faire de bonnes maths. Pour moi, les mathématiques, comme toute science, avancent par deux biais : il faut poser les bons broblèmes, et ensuite les résoudre. J'ai tendance à penser qu'il faut de la maturité pour mener à bien correctement la première des deux tâches, et qu'on a donc besoin de mathématiciens ayant "de la bouteille". En quelques sorte, les anciens posent les problèmes, et les jeunes les résolvent.

CultureMath : Pour vous, poser les problèmes est plus difficile que les résoudre ?
F. Napolitano : Je ne dirais pas ça, mais plutôt que c'est au moins aussi important. Et, d'un point de vue personnel, c'est la partie qui me fascine le plus car pour poser de bons problèmes il faut avoir une vision extrèmement clair d'une grande partie des mathématiques. C'est pour ça que je m'y remettrai peut-être à 60 ans !

CultureMath : Après une année àl'ENS, vous avez pourtant voulu arrêter les mathématiques.
F. Napolitano : En effet, je ne trouvais pas ce que je cherchais dans les enseignements qu'on me proposait. Pour moi, les mathématiques servent d'abord à expliquer le monde, et, à ce titre, j'attends qu'elles soient ouvertes sur lui. Or, finalement, dans les cursus de mathématiques pures en France, on s'intéresse aux mathématiques pour elles-mêmes de façon parfois abstraite, et nullement à leurs liens éventuels avec d'autres domaines, pas même à l'intérieur des mathématiques. C'est un point de vue qui se défend peut-être, mais qui ne m'attirait pas.

CultureMath : Pourquoi ne pas être allé en maths appliquées ?
F. Napolitano : A cette époque, les mathématiques pures jouissaient, pour moi comme pour beaucoup d'étudiants de l'ENS, d'un prestige que les maths appli n'avaient pas encore. Depuis, la tendance semble s'inverser, et il y a bien des laboratoires où ce sont les maths appli qui méprisent les maths pures; on retrouve la même erreur enfantine (rire). A ce moment, plutôt que d'aller dans une voie "appliquée", j'ai préféré quitter les mathématiques, et m'intéresser à l'Economie, plus proche du monde des hommes, et susceptible d'expliquer bien des aspects de notre société (chose qui ne sont pas du ressort des maths).

CultureMath : Cependant vous avez rapidement quitté l'économie et vous êtes revenu aux mathématiques pures environs un an plus tard, pourquoi ?
F. Napolitano : C'est la rencontre avec le professeur Vladimir Arnold qui a tout changé : sa vision des mathématiques comme étant un tout indivisible, et le lien permanent avec la physique. C'est quelquun de très fascinant et enthousiasmant. Quand je l'ai vu la première fois, j'ai découvert, ce qu'on m'avait complètement caché durant ma scolarité, qu'il y avait encore des problèmes à résoudre en maths. Les maths sont donc redevenus un domaine très excitant pour moi.

CultureMath : Aimiez-vous la physique avant cette rencontre ?
F. Napolitano : Pas vraiment, en prépa il m'est même arrivé d'avoir zéro à des contrôles tant cette matière me rebutait ! Mais voilà qu'on me la présentait différemment et qu'au lieu de la voir comme un amoncellement de formules et comme des sous-mathématiques, elle prenait un sens : expliquer le monde, le comprendre.

CultureMath : Comment avez-vous bifurqué vers l'industrie ?
F. Napolitano : Vers la fin de ma thèse, je m'interrogeais à nouveau sur l'orientation à suivre, et en particulier j'envisageais de passer au secteur industriel, plus directement lié à l'activité des autres gens. Je n'avais pas d'idée précise en tête lorsque j'en ai parlé à un ami, qui m'a conseillé de contacter des gens chez Ixsea cherchant un mathématicien. C'est ainsi que je suis entré à Ixsea. J'avais envie d'esprit d'équipe et de concevoir des objets physiques.

CultureMath : Pourquoi être retourné dans le milieu de la recherche ? Et pourquoi en être reparti un an plus tard ?
F. Napolitano : J'avais quelques projets que j'ai dû abandonner pour aller chez Ixsea, et j'ai eu l'opportunité de revenir à Dauphine, j'en ai donc profité pour terminer ces recherches car je ne voulais pas rester sur un sentiment de frustration. Après un an j'ai réintégré Ixsea car l'esprit d'équipe, une fois de plus, me manquait et j'avais aussi chez Ixsea beaucoup de projets à mener. Maintenant je vais rester stable, et sans regrets car je ne laisse pas de travail inachevé !

CultureMath : Quels ont été vos attributions depuis que vous travaillez pour Ixsea ? En particulier en quoi avaient-ils besoin d'un mathématicien ?
F. Napolitano : J'ai commencé comme ingénieur. Le but était de concevoir un système de navigation inertiel, c'est à dire basé sur la mesure d'accélérations et de rotations instantanées. Il devait pouvoir être couplé avec des systèmes reposant sur d'autres principes physiques, par exemple les systèmes de positionnement acoustique. En gros pour cela il faut faire des équations différentielles stochastiques et du filtrage optimal. C'est donc très matheux et intéressant! Après je suis devenu responsable de l'ensemble des recherches sur les systèmes inertiels que fabrique Ixsea et nous avons commencé à faire des systèmes mélangeant de plus en plus de briques de base, c'est à dire des technologies clefs avec des idées très différentes. Là aussi, les mathématiques et en particulier la géométrie sont très utiles pour faire mieux que les autres. Il faut voir ça comme une compétition mondiale entre ingénieurs/mathématiciens (un peu comme dans les produits dérivés en finance). Depuis quelques semaines, je suis directeur du site de Brest d'Ixsea. Là-bas nous allons faire beaucoup de nouveaux systèmes pour tout ce qui se passe sous l'eau. Je reste assez vague mais il faut toujours garder un peu de mystère, sinon de secret. (Rire)

CultureMath : Dans quel domaine des mathématiques avez-vous travaillé ?
F. Napolitano : En dehors du privé, j'ai fait surtout ce qu'on appelle des maths pures, c'est à dire moins bien financé par la société (sourire). L'espace de recherche était principalement la théorie des singularités principalement mais, en fait, dans ma thèse j'ai plutot résolu des problèmes assez différents. Arnold est très bon pour poser des problèmes et c'était donc assez facile pour moi. D'ailleurs il y a maintenant en anglais un livre des problèmes d'Arnold que je conseille à tous amoureux de belles maths.

CultureMath : Merci beaucoup !
F. Napolitano : De rien !