Au lycée comme à l'université, il est classique d'introduire les équations différentielles en invoquant la charge d'un condensateur en électricité, l'oscillation du pendule en mécanique, la décroissance radioactive ou encore la cinétique d'une réaction chimique.

Pour motivantes qu'elles soient, ces situations nécessitent un bagage scientifique solide doublé d'un réel sens physique 1234. Plus simple et quotidien, le problème dit de la « vidange » ou de la « purge » d'un récipient conduit naturellement à des modèles souvent du premier ordre et accessibles dès la classe de Terminale 5. Les contextes d'application sont variés : réservoir sans couvercle type « baignoire » ou avec couvercle type « bidon / cubi / cuve » ; réservoir sous pression type « fusée à eau », « spray aérosol » ou « bonbonne de gaz », ou soumis à une force extérieure type « vessie » ou « bouée dégonflée par constriction ». Mais grosso modo tout revient à ce seul principe, assez intuitif et que nous tiendrons pour acquis tant que l'orifice de sortie (bonde, valve, soupape, ...) est petit :

Principe d'une vidange

Plus il reste de matière $m$ (mesurée par exemple dans une unité de masse ou de volume) à l'intérieur du contenant, plus elle pousse vers la sortie pour s'en échapper, c'est-à-dire que

  • $\frac{\mathrm{d} m}{\mathrm{d}t}$ est négative ;
  • $\frac{\mathrm{d} m}{\mathrm{d}t}$ est grande en valeur absolue quand $m$ est élevée.

Au premier ordre, il existe donc une relation entre $m$ et $\frac{\mathrm{d} m}{\mathrm{d}t}$.

Faisons l'expérience avec une demi-bouteille, assimilée à un cylindre, renversée tête en bas, le fond à l'air libre, figure 1. Remplissons-la jusqu'à la hauteur $z_0$ et débouchons-la à l'instant $t=t_0$ (typiquement $t_0 = 0$). Notons $z(t)$ le niveau d'eau restante en fonction du temps, la condition initiale imposant $z(t_0) = z_0$.

Vidange d’un réservoir ouvert

Vidange d’un réservoir ouvert à l’air libre (ici une bouteille, assimilée à un cylindre, dont le culot a été découpé) à travers un orifice de sortie (ici le goulot). On peut convenir que $t_0 = 0$

Auteur : Victor Rabiet Licence : CC-BY-SA

La hauteur $z(t)$ est proportionnelle à la masse d'eau contenue dans la bouteille à l'instant $t$. Tel que le phénomène a été décrit dans le principe ci-dessus, plus ce niveau $z(t)$ est élevé plus il baisse rapidement puisque plus la pression exercée par la colonne d'eau sur le goulot est forte et, par conséquent, plus la fuite est sévère. La vidange se déroule à une vitesse correspondant à la variation du niveau de la surface libre par unité de temps, notée (au choix) $z' =\dot{z}= \frac{\mathrm{d}z}{\mathrm{d}t}$, et que l'on peut a priori croire, en première approche, proportionnelle à $z$. Si bien que \begin{equation} \frac{\mathrm{d}z}{\mathrm{d}t} = c\,z \label{eqdiff} \end{equation} où $c<0$ est une constante assurant l'homogénéité de l'équation, et négative pour garantir la décroissance de $z$.

L'équation linéaire (\ref{eqdiff}) mène à l'expression \[ z = z_0\,e^{c\,(t-t_0)} \] qui tend asymptotiquement vers $0$, comme sur la figure ci-dessous. Dès lors, la bouteille se viderait en un temps infini, figure 2.

Vidange d’un réservoir ouvert, premier modèle

Vidange d’un réservoir ouvert à l’air libre (ici une bouteille dont le culot a été découpé) à travers un orifice de sortie (ici le goulot) d’après un modèle mathématique simpliste. Ici, $t_0 = 0$.

Auteur : Victor Rabiet Licence : CC-BY-SA

Notre approche était naïve. En vérité, un modèle plus précis que gouvernent les lois de la physique et notamment le théorème de Bernoulli6 dégage une relation de proportionnalité entre $\frac{\mathrm{d}z}{\mathrm{d}t}$ d'une part et $\sqrt{z}$, au lieu de $z$, d'autre part. S'ensuit la formule de Torricelli7 : \begin{equation} \frac{\mathrm{d}z}{\mathrm{d}t} = C\,\sqrt{z} \label{eqdiffnl} \end{equation} où $C$ désigne une constante8 négative et assurant l'homogénéité de l'équation.

 

Bien que non-linéaire donc apparemment plus complexe, cette équation (\ref{eqdiffnl}) est pourtant plus facile à résoudre car $\frac{z'}{\sqrt{z}}$ admet comme primitive $2\sqrt{z}$. Il vient ainsi \[2\sqrt{z} -2\sqrt{z_0} = C\,(t-t_0)\] puis \[z = \Big(\tfrac{C}{2}(t-t_0)+\sqrt{z_0} \Big)^2.\] D'où la courbe, sans doute plus crédible puisqu'elle prédit une vidange en un temps fini $\tau= \tfrac{-2\sqrt{z_0}}{C}$, figure 3, que l'expérience réalisée et filmée en laboratoire valide comme on peut le voir dans la vidéo ci-après.

Vidange d’un réservoir ouvert, deuxième modèle

Vidange d’un réservoir ouvert à l’air libre (ici une bouteille dont le culot a été découpé) à travers un petit trou (ici le goulot) d’après un modèle mathématique plus élaboré (modèle de Bernoulli). L’expérience se termine en un temps fini. Ici, $t_0 = 0$.

Auteur : Victor Rabiet Licence : CC-BY-SA

La section de la bouteille (de diamètre 9 cm) est ici bien supérieure à celle du goulot (de diamètre 15 mm). Les observations seraient toutefois différentes si l'orifice de sortie (le goulot, ici) avait été plus large ou la bouteille fuselée. Dans un cas même extrême, le goulot et la bouteille pourraient avoir le même diamètre. Par gravité, la colonne d'eau chuterait alors « telle un seul homme », comme régie par la mécanique du solide. C'est cet emballement que nous constatons à la fin de la vidéo précédente. Quand le niveau d'eau arrive à hauteur de l'épaulement de la bouteille, le passage se resserre. Les diamètres de la colonne d'eau et du goulot se confondent. L'eau tombe d'un bloc, en piqué.

En allant plus loin, on pourrait chercher quelle forme aurait la bouteille pour avoir un débit régulier : c'est le problème de la clepsydre, posé depuis l'Antiquité. Demandons-nous plutôt ce qu'il advient lorsqu'on renverse la bouteille entière, sans en percer ni découper le fond, comme sur ce schéma, en figure 4.

Vidange d’un réservoir fermé

Vidange d’un réservoir fermé (ici une bouteille dont le fond a été conservé) à travers un petit trou (ici le goulot).

Auteur : Victor Rabiet Licence : CC-BY-SA

L'eau commence par jaillir sous l'action de son poids. Ce faisant, la poche d'air enfermée dans la partie supérieure voit son volume augmenter et sa pression diminuer. Telle un ressort, elle finit par rappeler le liquide. Celui-ci reflue par le goulot, admettant au passage une bulle d'air qui, en remontant, rétablit la pression atmosphérique dans la cavité. Le cycle reprend et s'accélère, les bulles gagnant plus vite la surface à mesure que la garde d'eau rétrécit, comme on peut voir dans la vidéo suivante. L'effet est même accentué avec un flacon de collyre. Le bec, très étroit, entrave davantage le mouvement des fluides et met en jeu des forces capillaires qu'on ne peut plus négliger. Il s'instaure alors un goutte à goutte. Voilà pour les aspects qualitatifs. Sans entrer dans les équations, gageons qu'il y aurait ici, en filigrane, du second ordre, peut-être aussi des dérivées partielles...

Le même prodige se répète quand on vide une brique de lait dans son verre. L'écoulement, très saccadé au départ, en verse parfois à côté (partie droite de la figure 5 et la vidéo suivante).

Il y a bien une astuce, contre-intuitive, qui limite ces petits dégâts — et c'est justement pour cette raison que le bouchon est désaxé, (partie gauche de la figure 5 et la vidéo suivante).

Verser sans s’éclabousser !

En orientant le goulot vers le haut comme dans le schéma de gauche, l’air peut pénétrer tandis que le lait se déverse. L’écoulement est plus régulier. En orientant le goulot vers le bas comme à droite, l’air se faufile difficilement. L’écoulement se produit par à-coups, à chaque fois qu’une bulle d’air aura pu pénétrer.

Auteur : Ivan Boyer Licence : CC-BY-SA

Il faut
incliner
la brique de
l'autre
côté.

De la sorte, l'ouverture est d'emblée pour partie dégagée, ce qui aide l'air à pénétrer.

Il existe une astuce encore plus efficace (que ceux qui se sont battus avec un petit suisse connaissent) : percer un simple trou. Non pas à l'arrière — cela fonctionnerait à condition de tout boire d'un coup car l'emballage fuirait — mais sur le dessus :

Verser sans s’éclabousser !

L’air rentre par le petit trou, en haut à gauche. C’est le principe du flan, dont on décachète l’opercule (située, elle, au dos du moule), qui nous ramène aux figures 1 et 3.

Auteur : Ivan Boyer Licence : CC-BY-SA

Gargouillis insolites, bruits de succion, coups de bélier qui hantent votre maison... La plomberie 1 obéit elle aussi aux équations différentielles !

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