Au vu de ces statistiques on serait tenté d’affirmer qu’effectivement les garçons sont meilleurs en mathématiques que les filles. Pourtant, ce que l’on oublie alors, c’est que ce flagrant déséquilibre est le résultat d’un processus long – et souvent inconscient – de construction sociale des inégalités de maîtrise des compétences mathématiques et d’orientation vers les filières scientifiques. Reconstituons donc la genèse de ces apparents « don » masculin et « faiblesse » féminine dans le domaine des mathématiques.

Victor Lavy et David Sand (2015)1, tous deux économistes, se penchent sur la question en suivant une cohorte d’élèves israéliens du début du collège à la fin du lycée – du moins de leurs équivalents israéliens. Ils observent que lorsque l’on fait passer aux élèves des tests corrigés anonymement au collège, les filles obtiennent de meilleurs résultats en mathématiques que les garçons. Or, ce n’est pas le cas lorsque les copies sont corrigées de manière nominative. Comment expliquer ce phénomène ? 

Ce sont les psychologues américains Robert Rosenthal et Lenore Jacobson (1968)2 qui théorisent ce processus sous le nom d’« effet Pygmalion3 ». Ils fondent leur travail sur des expériences dans des écoles primaires aux États-Unis. Ainsi, en fin d’année scolaire, ils font passer aux élèves d’une classe des tests qu’ils présentent aux enseignants comme étant un moyen de mesurer l’intelligence des élèves. Au début de l’année suivante, ils font parvenir aux enseignants des résultats, qui ne sont pas réellement les résultats des tests qu’ils ont fait passer. En effet, dans les résultats qu’ils fournissent aux enseignants, les chercheurs ont augmenté les notes de certains élèves choisis de manière aléatoire, et les ont ainsi désignés comme supérieurement intelligents. Pourtant, à la fin de l’année scolaire, ceux qui ont été désignés comme supérieurement intelligents lors de l’expérience ont effectivement davantage progressé que la moyenne des élèves de la classe.

Ce que cette expérience met en lumière, c’est l’effet massif des attentes des enseignants sur les résultats des élèves. D’une part, les attentes d’un enseignant sur les résultats d’un élève déforment la perception qu’il a du travail de celui-ci, et influencent ainsi la notation : l’enseignant a tendance à surévaluer les élèves qu’il pense être supérieurement intelligents, indépendamment du niveau réel de ces derniers. Mais ces attentes ont un effet encore plus puissant : le comportement de l’élève est lui-même modifié par les attentes que l’enseignant a envers lui. En effet, un élève qui se sent valorisé tente de répondre aux attentes de l’enseignant : il s’investit alors davantage dans son travail scolaire. On comprend ainsi que les stéréotypes de sexe relatifs aux compétences en mathématiques se reproduisent dans le temps : ils produisent des inégalités de niveau scolaire, et ces inégalités contribuent elles-mêmes à conforter les stéréotypes.

Mais le puissant effet des stéréotypes de sexe se déploie bien au-delà de la salle de classe et du bulletin de notes. En effet, les biais de notation qui en découlent ont des effets sur l’orientation des élèves au lycée. Comme le mesurent Victor Lavy et David Sand, toutes choses égales par ailleurs, plus une fille a eu des enseignants notant les filles de manière défavorable car biaisée, moins elle a de chances de s’orienter vers des options scientifiques au lycée ; et inversement pour les garçons. Ainsi, à la fin du lycée, les garçons sont effectivement meilleurs que les filles en mathématiques !

Le supposé « don » masculin pour les mathématiques perd soudain de son évidence…

Pour aller plus loin :