Duncan Farquharson Gregory est un mathématicien Écossais né le 13 avril 1813 et mort le 23 février 1844. Il fait partie d'un groupe de mathématiciens qui ont été identifiés par les historiens des mathématiques sous le nom d'École Algébrique Anglaise. Il regroupe des mathématiciens comme Charles Babbage (1791-1871), Georges Peacock (1791-1858), Augustus de Morgan (1806-1871), Duncan Farquharson Gregory (1813-1844), Georges Boole (1815-1844), William Rowan Hamilton (1805-1865), Arthur Cayley (1824-1895) et James Joseph Sylvester (1814-1897). On peut y rattacher d'autres auteurs moins connus qui ont tous œuvré à établir l'algèbre symbolique comme outil général en mathématiques.

Gregory fonda le Cambridge Mathematical Journal en 1837, revue qui joua un rôle important dans le renouveau des mathématiques au Royaume-Uni.

On se propose d'illustrer l'approche de Gregory à travers l'étude d'un texte sur les logarithmes où l'on peut voir à l'œuvre sa façon d'appréhender divers problèmes grâce à l'algèbre symbolique et sa progression vers une vision générale.

Le texte de Gregory peut servir de support pour enrichir un cours sur les logarithmes en classe et montrer la généralité qui découle des manipulations algébriques abstraites. Nous laissons les citations en langue originale et le texte de Gregory pourra il nous semble inspirer des approches transversale ou en classes européennes ou internationales.

Introduction

De nos jours le symbole $\ln a$ désigne le logarithme népérien du nombre réel positif $a$. Ce nombre est la solution $x$ de l'équation $a=e^x$.  Cependant on s'aperçoit par ailleurs qu'en utilisant les nombres complexes, certaines expressions comme $e^{i(2n+1)\pi} = -1$ donnent des nombres réels négatifs. Le problème est alors de savoir si l'on peut définir un logarithme de $-1$ alors qu'il y a désormais une infinité d'exposants (complexes) qui semblent convenir.

Mais le doute se propage aussi aux nombres positifs $a$ pour lesquels il existe bien un logarithme (unique), que nous noterions $\ln a$ et que les auteurs dont nous lirons les textes plus bas noterons $L (a)$ (ils l'appelleront "logarithme arithmétique"). En effet, les nombres positifs ont aussi une infinité d'écritures et puisque $a=e^{x+i 2\pi}$, quelle valeur choisir pour le logarithme de $a$ ?

Ce sont ces questions qui seront au centre des discussions que nous allons explorer dans cet article avec des mathématiciens de la première moitié du 19ième siècle.

Gregory et les logarithmes impossibles

Duncan Farquharson Gregory est un mathématicien Écossais né le 13 avril 1813 et mort le 23 février 1844. Il fait partie d'un groupe de mathématiciens qui ont été identifiés par les historiens des mathématiques sous le nom d'Ecole Algébrique Anglaise. Il regroupe des mathématiciens comme Charles Babbage (1791-1871), Georges Peacock (1791-1858), Augustus de Morgan (1806-1871), Duncan Farquharson Gregory (1813-1844), Georges Boole (1815-1844), William Rowan Hamilton (1805-1865), Arthur Cayley (1824-1895) et James Joseph Sylvester (1814-1897). On peut y rattacher d'autres auteurs moins connus qui ont tous œuvré à établir l'algèbre symbolique comme outil général en mathématiques.

Gregory fonda le Cambridge Mathematical Journal en 1837, revue qui joua un rôle important dans le renouveau des mathématiques au Royaume-Uni.

On se propose d'illustrer l'approche de Gregory à travers l'étude d'un texte sur les logarithmes où l'on peut voir à l'œuvre sa façon d'appréhender divers problèmes grâce à l'algèbre symbolique et sa progression vers une vision générale.

En 1839 Gregory publie dans le Cambridge Mathematical Journal un article intitulé "On the Impossible Logarithms of Quantities", dans lequel il essaie d'analyser une divergence de point de vue sur le problème du "logarithme des quantités négatives"1 :

The other point which I propose to elucidate at present, and which is the chief object of this paper, is the plurality of logarithms of quantities $[\cdots ]$ This is closely connected also with the discussion concerning the logarithms of negative quantities, which attracted so much attention in the time of Euler, D'Alembert, and John Bernoulli, and the interest of which has been revived of late years by the researches of Vincent, Ohm, and Graves. Euler had apparently set the question at rest by demonstrating the existence of an infinite number of logarithms of a quantity, one only of which is possible; and the formula he gave was that

$$ \log a = \mbox{L} (a) +2r\pi \sqrt{(-1)},$$

representing by $\mbox{L}(a)$ the arithmetical logarithm of $a$.

Mr. Graves, by a different and very circuitous process, arrives at the result

$$  \log (a) = \frac{\mbox{L}(a)+2r\pi\sqrt{(-1)}}{1+2r'\pi\sqrt{(-1)}},$$
the logarithms being taken with respect to the base $\epsilon$ for simplicity.

The correctness of this result is doubted by Professors Peacock and De Morgan, but it is corroborated by the researches of Sir W. Hamilton and Mr. Warren, as well as of M. Ohm. It is therefore both an interesting and an important question to determine which is the correct result or at least to point out the cause of the differences between them.

— Duncan Farquharson Gregory

Bien qu'il s'agisse ici d'un problème dans lequel le logarithme semble jouer un rôle central, c'est véritablement un travail général sur l'algèbre symbolique qui est en jeu. En particulier Gregory met en avant ce qu'il appelle des "anomalies analytiques" (analytical anomalies) dont il attribue l'apparition à une conception ambiguë du signe $+$ en arithmétique.

La conclusion de l'article, qui ne reprend pas un certain nombre d'observations fines que Gregory va développer, établit tout de même le rôle central du signe $+$ dans le problème du logarithme ou des puissances :

Bien qu'il s'agisse ici d'un problème dans lequel le logarithme semble jouer un rôle central, c'est véritablement un travail général sur l'algèbre symbolique qui est en jeu. En particulier Gregory met en avant ce qu'il appelle des "anomalies analytiques" (analytical anomalies) dont il attribue l'apparition à une conception ambiguë du signe $+$ en arithmétique.

La conclusion de l'article, qui ne reprend pas un certain nombre d'observations fines que Gregory va développer, établit tout de même le rôle central du signe $+$ dans le problème du logarithme ou des puissances :

In conclusion, I will recapitulate the conclusions to which I have been led by this mode of considering the symbol $+$.

A simple distributive and commutative operation has only one root, but if it be compounded with $+$ it has a plurality of roots depending on the indeterminate nature of $+$.

  1. If the base of a system of logarithms and the number be simple distributive and commutative operations, there is only one corresponding logarithm; but if the number of the form be $+^ry$, there is an infinite number of logarithms.
  2. If the base of the system be of the form $+^ra$, we are only allowed to assign one value to $r$, (as otherwise we alter the system,) and then there will be no plurality of logarithms.
  3. The impossible parts of the logarithms, as usually given, are the logarithm of $+$ and of $-$.

— Duncan Farquharson Gregory

Le rôle du signe +

Dans un premier temps Gregory envisage le problème de la pluralité des racines d'un nombre $a$ : alors que la puissance associe à un nombre un résultat unique, l'opération inverse semble donner de façon inexplicable plusieurs valeurs. Gregory va interpréter cette anomalie comme conséquence d'une mécompréhension de ce qui est réellement en jeu dans l'analyse des puissances et du signe $+$ :

Much of the obscurity connected with the subject is due to an oversight, by which the existence of this $+$ is totally overlooked. For it is not $a$, but $+a$, which has a plurality of roots: and though these quantities are usually reckoned to be the same, this idea is founded on an illegitimate extension of a supposed relation in the science of numbers.

— Duncan Farquharson Gregory

L'erreur que décèle Gregory dans l'analyse qui est usuellement proposée à son époque provient de la disparition du symbole $+$ dans certains calculs. En effet, en arithmétique le symbole $+$ est utilisé de deux façons différentes : soit pour indiquer une addition entre deux nombres, soit pour affecter d'un signe une quantité (affection). Dans ce dernier cas il est usuel d'écrire $+a=a$, ce qui est pour Gregory source d'erreur.

Ainsi Gregory va-t-il distinguer $a$ et $+a$ en précisant comment ils doivent être conçus de façon non ambiguë en examinant plusieurs aspects qui permettent d'éclairer le problème.

Tout d'abord Gregory va interpréter les deux éléments comme des opérations distinctes de l'arithmétique l'une étant absolue et l'autre relative :

I say supposed [as above], because I hold, that even in Arithmetic $a$ and $+a$ are different, and ought not to be confounded —the former being an absolute operation, the other always a relative one, and consequently incapable of existing by itself. But however this may be, there is no doubt that it is entirely illegitimate to suppose that in all cases $a$ and $+a$ are the same, since generally we know not even what their meanings may be.

— Duncan Farquharson Gregory

Cette citation est l'occasion de préciser la conception de Gregory. En effet, il ne faut pas penser qu'il cherche ici à distinguer deux types de signes $+$, l'un faisant référence à l'opération d'affectation alors que l'autre désignerait une opération différente. Il y a bien deux opérations, l'une notée simplement $+$ qui suit les lois de l'affectation que nous avons rappelées, et l'autre notée $+a$ que Gregory analyse comme une opération composée et qu'il qualifie de "relative". Gregory utilisera parfois des notations auxiliaires pour désigner et distinguer plus facilement ces deux types d'opérations (nous verrons de nouveaux exemples par la suite.)

Poursuivant son analyse, Gregory insiste sur le fait qu'en géométrie on distingue déjà $a$ et $+a$, le premier symbole désignant un segment de droite alors que $+a$ désigne un segment orienté. Gregory écrit : "$a$ represents a line considered with reference to magnitude only, $+a$ with reference both to magnitude and direction."

Une fois cette distinction entre $+a$ et $a$ établie quant à leur nature dans plusieurs domaines, Gregory précise que les deux opérations suivent des lois différentes, ce qui, du point de vue de l'algèbre symbolique, impose de les distinguer.

Gregory peut donc revenir sur l'"anomalie" des racines : $a$ possède une unique racine en arithmétique où l'on a des quantités (positives) alors que les lois qui régissent $+$ et $-$ donnent $(+)^2=+$ et $(-)^2=+$ d'où il découle que $+$ possède deux racines. Il en est de même pour $+a$ car $(+a^{\frac{1}{2}})^2=+a$ tout comme $(-a^{\frac{1}{2}})^2=+a$ :

From this we see, that the reason why there is a plurality of values for the roots of a quantity, is to be found in the nature of the operation $+$; and that it is only the compound operation $+a$, which admits of this plurality, $a$ itself having only one value for each root.

— Duncan Farquharson Gregory

Ce n'est qu'après avoir ainsi clarifié les différents emplois du signe $+$ que Gregory aborde le problème du logarithme en explorant les différentes approches de ses prédécesseurs. Cette analyse va être pour lui l'occasion de préciser sa conception de l'algèbre symbolique et de lever les anomalies qui faisaient obstacle à l'établissement d'une science. Les problèmes qu'envisage Gregory vont lui permettre entre autres de traiter un certain nombre de situations qui relèvent pour nous de ce que nous qualifierons d'un problème de multiplicité.

L'analyse qui suit permet de préciser cet aspect essentiel du travail de Gregory et de mieux cerner la portée de la vision générale qu'il met en place.

Multiplicités

Pour commencer, Gregory relit les usages du logarithme en termes d'opérations et donne les lois qui le gouvernent :

It is necessary first to lay down distinctly what is the meaning of the operation denoted by $\log$; and this, according to my system, is done by defining its laws of combination. These are

$\log x + \log y =  \log (xy)$,

$\log (x^y) =  y \log x$,

where $x$ and $y$ are distributive and commutative operations,

$ \log a =  1$,

which assumes the species to be that in which the base is $a$.

— Duncan Farquharson Gregory

Tout va alors se jouer dans le rapport qu'entretiennent les opérations $\log$ et $+$ en s'appuyant sur une analyse double de ce qui se passe dans le champ arithmétique d'une part et en algèbre symbolique d'autre part.

Gregory commence par analyser la démarche d'Euler en ces termes :

He substitutes for the number $y$ the expression

$$\{\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi\} y,$$

$r$ being any integer which he considers to be equivalent to it ; and then taking the logarithms with respect to $\epsilon$, he says that

$$\log y = L(y) +\log \{\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi\},$$

where $L(y)$ represents the arithmetical logarithm of $y$ : and as

$$\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi =\epsilon^{2r\pi {\scriptscriptstyle \sqrt{(-1)}}},$$

we have $\log y =L(y)+2r\pi\sqrt{(-1)}.$

— Duncan Farquharson Gregory

Si le résultat est bien obtenu en suivant les règles de l'algèbre symbolique, Gregory souligne que certaines expressions ne peuvent pas être interprétées en arithmétique. 

Dans la présentation de Gregory ci-dessus, chaque choix de l'entier $r$ donne un logarithme, et seul $r=0$ donne un logarithme "possible", c'est-à-dire un nombre (quantity). La partie qui apparaît lorsque $r$ est non nul est "impossible" à interpréter en arithmétique, et l'expression résultant du calcul reste du côté de l'algèbre symbolique.

Mais ce qui fait que Gregory remet en question cette démonstration relève essentiellement de l'interprétation de l'égalité entre $y$ et $\epsilon^{2r\pi \sqrt{(-1)}} y$ qui ne peut pas se transférer à l'algèbre symbolique sans poser problème :

The correctness of this result depends essentially on the assumption that $y$ and $\{\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi\}y$ are identical: an assumption which at first it seems very natural to make, since the expression $\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi$ is usually considered to be equal to unity. But if we suppose the quantities with which we are dealing to be general quantities, and not numbers merely, a numerical value of $\cos 2r\pi + \sqrt{(-1)} \sin 2r\pi$ can have no place in our investigation, and we must seek for its general algebraical meaning.

— Duncan Farquharson Gregory

Pour contourner cet obstacle Gregory explique qu'au niveau des opérations ce sont $+$ et $\epsilon^{2\pi\sqrt{-1}}$ qui sont équivalents, car les deux suivent les mêmes lois. L'opération désignée par $\epsilon^{2\pi\sqrt{-1}}$, tout comme celle désignée par $+$, doit être traitée avec la multiplicité que traduit l'égalité $+=+^r$, contrairement aux symboles tels que $1$, propres à l'arithmétique, qui comportent une certaine unicité de conception liée à la notion de quantité.

Pour Gregory il faut donc distinguer deux situations.

Au niveau des quantités (positives), l'équation exprimée avec les symboles de l'algèbre arithmétique $y=\epsilon^x$ permet de dire que $y$ possède un logarithme arithmétique (arithmetical logarithm) noté $L(y)=x$.

Par contraste au niveau de l'algèbre symbolique il faut distinguer $y$ et $+y$, le premier désignant un certain type d'opération "absolue" alors que le second désigne une opération composée de $+$ et de $y$, et qui par conséquent possède ce que nous nommons une certaine multiplicité. Le mélange de ces deux niveaux d'interprétation est pour Gregory la cause de l'erreur qu'il décèle dans la démarche d'Euler et de plusieurs autres mathématiciens.

 Gregory analyse la démarche de Graves de la même façon : en partant de l'équation $y=a^x$ et en concevant que $y$ et $a$ doivent être interprétés comme $+^r y$ et $+^{r'} a$ respectivement, un calcul analogue à celui mené précédemment donne :

\[x=\frac{\log y + 2r\pi \sqrt{(-1)}}{\log a + 2r'\pi \sqrt{(-1)}}.\]

Gregory note cependant que cette méthode implique un changement de base du logarithme pour chaque valeur de $r'$ et que les valeurs de $x$ obtenues pour différentes valeurs de $r'$ n'ont pas vraiment de lien entre elles, ce qui rend l'approche peu intéressante.

En réintroduisant subtilement le signe $+$ Gregory montre qu'il n'existe pas de logarithme commun aux nombres négatifs et positifs. La discussion menée par Gregory est ici organisée de façon très proche de celle proposée par Peacock dans son ouvrage de 1830 A treatrise on Algebra. Il repense ici les nombres de l'arithmétique en des termes adaptés à la généralité qu'impose l'algèbre symbolique.

En effet, si l'on accepte que $\epsilon^{\frac{1}{2}}$ possède deux valeurs, notées $+n$ et $-n$, alors $\frac{1}{2}$ est le logarithme commun de $+n$ et de $-n$. Mais pour Gregory $+n$ est la racine carrée de $+^2\epsilon$ et $-n$ celle de $+\epsilon$. Ainsi $\frac{1}{2}$ est le logarithme de $+n$ avec pour base $+^2\epsilon$ et celui de $-n$ lorsqu'on prend pour base $+\epsilon$.

Dans le cas général Gregory distingue les nombres positifs, qui doivent s'écrire $+^ra$, et les nombres négatifs, qui doivent s'écrire $+^{\frac{2r+1}{2}}a$. Les premiers ont donc pour logarithme $\log a + \log (+^r)=L(a) + 2r\pi \sqrt{(-1)}$ alors que les autres ont pour logarithme
$\log a + \log (+^{\frac{2r+1}{2}})=L(a) + \frac{2r+1}{2}\pi \sqrt{(-1)}$. Dans ces expressions Gregory mentionne qu'on ne peut ni prendre ${r=0}$ dans le premier cas, ni ${r=-\frac{1}{2}}$ dans le second sinon on confond encore $+a$ et $a$.

Cette analyse a une double conséquence : d'abord les logarithmes des nombres positifs ou négatifs ne coïncident jamais, et de plus chacune de ces expressions possède une partie "impossible" que l'on ne peut pas faire disparaître.

Gregory insiste sur le fait qu'il s'agit d'une différence majeure avec les visions de ses prédécesseurs : contrairement à Vincent ou Graves, il pense que le résultat symbolique avec toute sa multiplicité (que nous lisons à travers l'indétermination de $r$) est le théorème qu'il faut conserver et qu'il n'a rien d'"imaginaire :

It might, perhaps, have weakened [M. Vincent's] belief in the correctness of the result, if he had come to the conclusion, as he ought to have done, that the same logarithm correspond to positive, negative, and impossible quantities. These last he seems quite to have overlooked, which may have arisen from his having adopted, with many other mathematicians, the name of imaginary quantities.

— Duncan Farquharson Gregory

Dans une dernière partie de son article, Gregory revient sur une démarche proposée par Peacock sur le logarithme des quantités négatives. Ce passage permet de préciser les idées de Gregory et de les comparer avec la vision de son prédécesseur :

It is somewhat remarkable, that Mr. Peacock has been led into the same error as M. Vincent and Mr. Graves, respecting the coincidence in some cases of the logarithms of positive and negative quantities. As the cause of his error has reference to the remark which I have made, and is not very easy to be detected, I shall point it out more particularly.

He considers $-a^m$ to be equivalent to $-1(+a)^m$, which gives

$$-(a)^m = \log(-1)+\log(+a)^m = (2r+2mr'+1)\pi \sqrt{-1}+\log a$$

He then supposes $\displaystyle m=\frac{p}{2n}$ where $p$ is prime to $n$, $r'=-n$ and $\displaystyle r=\frac{p-1}{2}$; and as these values make the multiplier of $\pi \sqrt{-1}$ vanish, he concludes that the logarithm of $-(a)^m$ coincides with that of $a^m$, since it becomes $m\log a$.

— Duncan Farquharson Gregory

L'approche de Peacock met elle aussi en œuvre une démarche symbolique abstraite dont le formalisme est souvent proche de celui choisi par Gregory. Les différences se situent au niveau de l'utilisation des notations, et de ce qu'elles désignent pour chacun d'eux. Les deux mathématiciens utilisent à leur manière des symboles particuliers pour indiquer une certaine multiplicité qui n'apparaît pas au niveau des quantités telles qu'elles sont traitées en arithmétique.

Pour Peacock cette multiplicité s'écrit à travers des égalités du type $1={\epsilon^{2r\pi\sqrt{-1}}}$, $-1={\epsilon^{(2r+1)\pi\sqrt{-1}}}$, $\sqrt{-1}={\epsilon^{\frac{2r+1}{2}\pi\sqrt{-1}}}$ ou encore $+a={\epsilon^{2r'\pi\sqrt{-1}}} a=a$. Les égalités font intervenir ce qu'il appelle des éléments "imaginaires" qui permettent de mener à bien certains calculs tels qu'on les voit dans la citation précédente.

Un des aspects que critique Gregory provient de la différence de nature de ce qui est désigné par le membre de droite ou de gauche des égalités, l'un appartenant à l'algèbre symbolique alors que l'autre appartient à l'arithmétique et demande un effort constant de réinterprétation pour le concevoir comme symbole d'opération.

Dans une égalité du type $1=\epsilon^{2r\pi \sqrt{-1}} $, le membre de gauche désigne pour Gregory une quantité, alors que le membre de droite désigne un élément d'une tout autre nature, multiple (possibilités pour $r$) et que Peacock lui-même qualifie d'"imaginaire". La seule situation qui redonne sens à cette égalité, et dont se sert Peacock, intervient lorsque l'on impose $r=0$, c'est-à-dire lorsque que l'on abandonne le caractère multiple qui semblait nécessaire au départ. C'est aussi suite à cette analyse que Gregory rejette le terme d'imaginaire : si l'on qualifie un membre de l'égalité d'imaginaire on écrit une égalité entre deux termes de natures singulièrement différentes.

De son côté Gregory préfère éviter tout recours aux symboles désignant des quantités et insiste sur son idée d'employer le symbole $+$ et ses puissances comme seule marque d'affectation positive ou négative des quantités. Désormais lorsque Gregory écrit $+=+^r$ les deux membres de l'égalité sont de la même nature, des opérations, et toutes les manipulations s'effectuent selon les lois de l'algèbre symbolique.

Ainsi les choix de Peacock ou de Gregory de faire porter la marque de la multiplicité par les symboles $1$ ou $+$ respectivement, qui pourraient passer pour anodins rétrospectivement, révèlent une différence de conception de l'algèbre symbolique et de son lien avec l'arithmétique. Il y a bien une pratique commune qui consiste en une manipulation des symboles d'opération suivant des lois que l'un et l'autre reconnaissent comme valides. Mais pour Peacock un certain nombre d'écritures restent dans le domaine de l'imaginaire. On voit bien tout au long de son traité de 1830 qu'il cherche à tout prix à trouver des choix d'indices qui lui permettent d'interpréter les résultats obtenus en termes de nombres ou de quantités. Ceci l'amène à écrire une erreur que décèle Gregory dans la citation au-dessus où Peacock oublie tout d'un coup que lorsque l'on écrit $1=\epsilon^{2\pi r}$ on a introduit, en passant du membre de gauche à celui de droite, une certaine multiplicité. Dès lors chaque ligne de calcul est du côté de l'algèbre symbolique et $-a^{\frac{1}{2}}$ ne fait plus univoquement référence à un seul nombre, mais à deux, l'un positif, l'autre négatif.

Gregory de son côté marque, par son choix de symboles, une nette séparation entre l'arithmétique et l'algèbre symbolique en prenant soin de ne pas écrire sans précaution d'égalité dont les membres appartiennent aux deux champs qu'il dissocie. Par conséquent le symbole $1$ ne peut pas être conservé en algèbre symbolique car son utilisation en arithmétique lui confère un "sens limité" (a symbol limited in its signification). On voit donc ici que c'est un principe de généralité qui guide l'abstraction chez Gregory et qui empêche d'utiliser certains symboles en algèbre symbolique, car pour être général, un symbole ne doit pas être lié à un sens donné dans une discipline particulière.

Impossible et imaginaire

Cet article sur les logarithmes illustre bien la double difficulté que nous souhaitions mettre en valeur et permet pour nous de faire écho à l'emploi du mot "impossible" dans le titre choisi par Gregory. Pour lui, c'est au niveau symbolique que doit s'établir la "preuve" (proof) et il rejette le qualificatif d'imaginaire employé par Peacock et d'autres (Peacock emploie aussi les termes "impossible" et "imaginaire" en parlant d'"opération impossible" et de "résultat imaginaire" par exemple) pour mettre en avant la possibilité ou l'impossibilité de donner une interprétation de telle ou telle expression dans un champ particulier :

I adhere to the name impossible instead of imaginary, because the latter involves an idea which I conceive to be very deleterious in analysis. We may be unable to perform an operation though it be by no means an imaginary one; and indeed all that we can say of those quantities which have this name affixed to them is, that they are uninterpretable in arithmetic. For this reason, if I were permitted to propose a change, I should prefer to call these quantities "operations uninterpretable in arithmetic", as this involves no theory of their nature, but only expresses what is a fact.

— Duncan Farquharson Gregory

Pourtant les résultats obtenus, qui ne sont en rien "imaginaires" pour Gregory, peuvent parfois ne pas être interprétables en arithmétique, première impossibilité qu'il commente souvent dans ses articles sur l'algèbre symbolique. Son emploi du mot "impossible" est alors essentiellement associé à l'apparition, lors de l'approche symbolique, des termes comportant $\sqrt{-1}$. Lorsque ces termes ne disparaissent pas en fin de calcul ou dans des cas particuliers, il est alors "impossible" pour Gregory de donner une interprétation au niveau de l'arithmétique de la formule symbolique. La deuxième difficulté provient de l'interprétation même des situations de l'arithmétique en termes d'opérations. Comme nous l'avons vu en suivant l'analyse de Gregory, certains symboles qui disparaissent au cours des manipulations et des calculs en arithmétique doivent être réintroduits pour se prêter à une interprétation en termes d'opérations, comme le signe $+$ (d'affectation) qui est au centre de l'analyse proposée par Gregory. Des égalités, et plus généralement les formulations de l'arithmétique, ne peuvent pas être directement retranscrites en algèbre symbolique sans un travail minutieux de réinterprétation et de transposition. Cette démarche qu'il applique dans de nombreuses situations différencie fondamentalement sa pratique de celle de séparation des symboles d'opération à l'œuvre antérieurement.

Conclusion

Pour finir cette présentation précisons un peu la nature de la relation entre l'algèbre symbolique et l'arithmétique. Gregory considère que l'algèbre symbolique est plus générale que l'arithmétique car elle permet de manipuler des opérations abstraites (les symboles y sont dénués de sens) et de donner des résultats interprétables dans divers champs, en arithmétique mais aussi en géométrie par exemple.

Pourtant, dans cette hiérarchie du général, l'arithmétique ne s'est pas fondue dans le formalisme de l'algèbre symbolique. Le champ arithmétique reste un lieu de l'interprétation toujours présent, un lieu où les symboles reprennent leur sens sans disparaître dans le domaine plus général de l'algèbre symbolique. Dans cette organisation, l'arithmétique ou les divers champs particuliers ne sont pas constitués comme une collection d'énoncés de l'algèbre symbolique, et ne forment pas un sous-domaine qui serait défini par l'utilisation exclusive d'une collection restreinte de symboles ou de lois.

Gregory construit tout au long de son travail de recherche une véritable méthode qui permet un va-et-vient entre l'algèbre symbolique et les divers champs d'interprétation. Son approche ne se limite pas à préciser les lois permettant de manipuler les symboles : elle cherche à établir que l'algèbre symbolique est générale en ce sens qu'elle permet de relire sans ambiguïté les diverses situations des champs qu'elle embrasse, et en premier lieu l'arithmétique.

Pour aller plus loin

Nous donnons ici quelques références aux textes de Gregory ou à des études qui permettent de prolonger ou de compléter la courte analyse que nous avons donnée ici.

  1. Louis François Arbogast. Du Calcul des Dérivations. Strasbourg, 1800.
  2. Sloan Evans Despeaux. "‘Very Full of Symbols’: Duncan F. Gregory, the Calculus of Operations, and the Cambridge Mathematical Journal“. In: Episodes in the History of Modern Algebra (1800-1950). Sous la dir. de Jeremy J. Gray et Karen Hunger Parshall. American Mathematical Society, 2011, p. 49–69.
  3. Jeremy J. Gray et Karen Hunger Parshall. Episodes in the History of Modern Algebra (1800-1950). American Mathematical Society, 2011.
  4. Ivor Grattan-Guinness. "D-company: the rise and fall of differential operator theory in Britain, 1810s–1880s“. In: Arch. Int. Hist. Sci. 60 (2010), p.477–528.
  5. Maria Panteki. "Relationships between algebra, differential equations and logic in England 1800-1860.“ Ph.D. England: Middlesex University, 1991.
  6. K. H. Parshall. "Victorian algebra: the freedom to create new mathematical entities“. In: Mathematics in Victorian Britain. Sous la dir. de Raymond Flood, Adrian Clifford Rice et Robin Wilson. Oxford University Press, 2011, p. 339–356, 446–450.

Articles de Gregory : premières éditions.

  1. Duncan Farquharson Gregory. "Notes on Fourier’s Heat“. In: Cambridge Mathematical Journal 1 (mai 1838), p. 104–108.
  2. Duncan Farquharson Gregory. "On the solution of linear equations of finite and mixed differences“. In: Cambridge Mathematical Journal 1 (fév. 1838), p. 54–63.
  3. Duncan Farquharson Gregory. "On the solution of partial differential equations“. In: Cambridge Mathematical Journal 1 (mai 1838), p. 123–133.
  4. Duncan Farquharson Gregory. "On the impossible logarithms of quantities“. In : Cambridge Mathematical Journal 1 (mai 1839), p. 226–238.
  5. Duncan Farquharson Gregory. "On a difficulty in the theory of algebra“. In : Cambridge Mathematical Journal 3 (nov. 1842), p. 153–160.
  6. Duncan Farquharson Gregory. "On the solution of certain functional equations“. In: Cambridge Mathematical Journal 3 (mai 1843), p. 239–248.
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