Au XIXe siècle se développe une géométrie spécialement dédiée à l’enseignement primaire qui est alors « l’école du peuple ». Mobilisant les ressources du dessin, cette géométrie primaire doit se démarquer de la géométrie « classique » enseignée dans le secondaire par son caractère utile et pratique. S’élaborent ainsi des contenus, des méthodes et des pratiques enseignantes spécifiques qui, largement liées aux finalités de l’école primaire mais aussi à l’âge des élèves, posent la question de la place respective des activités graphiques – et plus largement des activités manuelles – et du raisonnement dans un enseignement de géométrie "pour tous".
En recommandant aux maîtres d’associer les enseignements de géométrie, de dessin et de travail manuel, les programmes et instructions ministérielles de 1909 pour les écoles primaires supérieures, et de 1923 pour les écoles primaires élémentaires, prônent une formule qui va perdurer jusqu’aux années 1960, et dont on retrouve, aujourd’hui encore, des traces dans l’enseignement mathématique dispensé à l’école élémentaire ou au collège : une géométrie essentiellement concrète, s’appuyant largement sur l’activité des élèves par des travaux de dessin ou des réalisations spatiales.
Cette coopération disciplinaire, et plus particulièrement celle de la géométrie et du dessin, trouve ses racines dans la façon dont s’est constitué l’enseignement primaire de la géométrie au XIXe siècle. La géométrie (et non la géométrie pratique, la différence est importante, on le verra) est officiellement introduite dans l’enseignement primaire sous la monarchie de Juillet : la loi Guizot du 28 juin 1833 inscrit « les éléments de la géométrie » au programme de l’enseignement primaire supérieur (de garçons) créé afin d’offrir « à une partie nombreuse de la population une culture un peu plus relevée que celle que lui donnait jusqu’ici l’instruction primaire1 ». Cette mesure, prise dans un contexte politique favorable à l’instruction populaire, est importante à plus d’un titre : non seulement elle diversifie un enseignement mathématique primaire le plus souvent limité à la seule arithmétique, mais elle ajoute à l’instruction primaire (l’école du peuple) une discipline traditionnellement réservée à l’enseignement secondaire (l’école des notables)2. C’est dans cette tension entre, d’une part, la volonté d’élever et de diversifier les études primaires, et, d’autre part, l’exigence sociale et politique de différenciation, en termes de méthodes et de finalités, des études primaires et des études secondaires, que va s’élaborer la géométrie primaire au cours du XIXe siècle. Nous voudrions retracer ici cette élaboration disciplinaire et en montrer les différents enjeux, pédagogiques, épistémologiques, voire idéologiques.
Dans les écoles primaires supérieures, les exercices de lever de plans, qui conjuguent dessin et géométrie pratique, constituent bien souvent le couronnement du cours de géométrie. S’esquisse ainsi une géométrie ancrée dans le concret, privilégiant la description et le tracé des figures, plutôt que les démonstrations. Le raisonnement, parce qu’il permet de fixer dans la mémoire les notions étudiées, n’est toutefois pas totalement écarté.
Un tel enseignement de géométrie concerne a priori le « haut » enseignement primaire : écoles primaires supérieures, mais aussi écoles normales primaires, qui assurent la formation des maîtres. En revanche, il ne vise pas ouvertement l’enseignement primaire élémentaire, et moins encore l’enseignement féminin. Au niveau élémentaire en effet, l’enseignement mathématique n’embrasse, selon la loi Guizot, que les « éléments du calcul » et le « système légal des poids et mesures ». Mais le législateur a prévu d’accorder une certaine latitude aux établissements « selon les besoins et les ressources des localités ». Le ministère prend dans les années 1830 quelques mesures destinées à favoriser l’enseignement du dessin linéaire dans les écoles élémentaires, voire celui de la géométrie proprement dite. Quant aux écoles de filles, elles ne sont pas concernées par la loi Guizot. Il faut attendre une ordonnance royale de 1836 pour que la division en deux degrés soit étendue à l’enseignement féminin. Celui-ci doit comprendre « les éléments du dessin linéaire », tant au degré élémentaire qu’au degré supérieur, mais l’étude de la géométrie n’est, en revanche, pas prévue. Le dessin linéaire représente donc, dans les établissements féminins comme dans les écoles élémentaires de garçons, le principal moyen d’initier les élèves à celle-ci.
La loi Falloux du 15 mars 1850 marque un coup d’arrêt, voire un retour en arrière. Elle fait perdre à l’enseignement primaire supérieur son existence légale (en réalité, il ne disparaît pas totalement) et le nouveau programme, qui concerne les écoles primaires de filles comme celles de garçons, est resserré autour des matières fondamentales : français et calcul. La géométrie est exclue : seules sont conservées, mais seulement comme matières facultatives, ses applications « utiles » – dessin linéaire, arpentage et nivellement. Cette suppression de la géométrie proprement dite est loin d’être politiquement neutre. Pour le nouveau pouvoir conservateur, l’extension donnée à l’instruction primaire sous la monarchie de Juillet représente une menace pour le bon ordre social. D’une certaine façon en effet, l’accession des élèves primaires à des connaissances traditionnellement réservées à l’enseignement secondaire – ainsi la géométrie – peut mettre en péril le cloisonnement entre l’école du peuple et celle des élites. À la fin du Second Empire, le ministre Victor Duruy permet de revenir partiellement à la situation antérieure : l’article 9 de la loi du 21 juin 1865 sur l'enseignement secondaire spécial inscrit de nouvelles matières facultatives au programme de l’enseignement primaire, parmi lesquelles « les éléments de la géométrie ».
Cette limitation des programmes sous le Second Empire se fait toutefois au profit d’une pédagogie plus concrète, davantage ancrée dans le réel. Plus, peut-être, que les matières facultatives, comme le dessin linéaire ou l’arpentage (encouragé par le ministre Fortoul en 1854), c’est l’enseignement du système métrique qui permet alors de dispenser quelques notions de géométrie aux élèves primaires. Ainsi, dans un article publié en 1855 dans une revue pédagogique proche du ministère, l’inspecteur primaire Jean-Jacques Rapet recommande aux instituteurs non seulement d’exercer leurs élèves « à mesurer toute espèce de quantités, des longueurs, des surfaces et des volumes », mais aussi de donner « à propos du système métrique, toutes les notions de géométrie qui en sont le complément indispensable, et toutes celles qui sont réellement utiles, sinon nécessaires à tout le monde1 »2. Une décennie après l’adoption définitive du système métrique décimal et l'abrogation des anciens poids et mesures, il s’agit d’expliquer celui-ci, d’en montrer la logique, d’en faire sentir l’utilité quotidienne. À la fin des années 1860, les écoles primaires parisiennes offrent un exemple d’une telle conception : l’étude des principales figures géométriques y est effectuée (au cours supérieur, c’est-à-dire en fin de cursus) dans le cadre de l’« application du système métrique à la mesure des surfaces et des volumes3 ».
Mesurer, dessiner
En portant « les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l'arpentage » – c’est la formulation complète – au nombre des matières de l’enseignement primaire supérieur, la loi Guizot de 1833 inscrit l’enseignement primaire de la géométrie dans une double tradition : celle du mesurage et de la géométrie pratique d’une part, et celle du dessin d’autre part. La première, liée à la mesure des surfaces et des volumes, est la plus ancienne. Déjà, sous l’Ancien Régime, certains maîtres d'école se livraient à des opérations d'arpentage (pour évaluer la superficie des terrains) ou en donnaient des leçons. Sous la Révolution, les grands projets d’instruction publique visent à institutionnaliser de telles pratiques. Ainsi, en 1791, le plan de Mirabeau prévoit que les maîtres d’école enseigneront « à calculer et même, s'il est possible, à lever des plans et à arpenter ». L’année suivante, Condorcet propose que l’on enseigne, dans les écoles primaires, « des méthodes simples de mesurer exactement un terrain, de toiser un édifice ». Mais la législation issue de la période révolutionnaire maintient finalement l’enseignement primaire dans le cercle étroit du « lire, écrire, compter ». Il faut attendre 1816 pour que les instituteurs titulaires du brevet du premier degré (c’est-à-dire les plus qualifiés, qui exercent généralement dans les villes importantes) voient l’arpentage officiellement entrer dans leurs attributions.
La seconde tradition, qui concerne le dessin, est plus récente, du moins dans ses formes codifiées et scolarisées. Elle remonte aux premières années de la Restauration lorsqu’un enseignement de « dessin linéaire » est introduit dans les écoles mutuelles. Le dessin linéaire – on dit parfois dessin géométrique – est une nouvelle méthode de dessin conçue par le mathématicien Louis-Benjamin Francœur1 afin de mettre cet enseignement à la portée du peuple2. Publiée en 1819, celle-ci connaît un large succès, d’abord dans les écoles mutuelles, ensuite dans l’ensemble de l’instruction primaire. Elle vise à exercer l'œil et la main, à développer la précision et le sens de l'observation, mais aussi à initier au « bon goût » par des modèles inspirés de l’art antique. Concrètement, les élèves dessinent à main levée, c’est-à-dire sans règle ni compas, des droites, des angles et des figures rectilignes, puis des lignes courbes et des figures curvilignes, qu’ils combinent ensuite dans des figures géométriques plus complexes ou des dessins d’ornement et d’architecture. La progression suit donc un ordre croissant de difficulté des tracés, et non celui des théorèmes de la géométrie classique.
Depuis longtemps, les bons esprits souhaitaient voir introduit l’enseignement du dessin dans les écoles élémentaires. Cet art, utile à presque toutes les professions, l’est surtout aux gens du peuple, dont les travaux consistent presque tous en des imitations de formes. Sans parler des artistes qui font du dessin leur étude spéciale, la base essentielle de leurs productions, les anatomistes, les médecins, les marins et les voyageurs, ont à chaque instant recours au dessin pour exprimer leurs conceptions, se les expliquer plus nettement à eux-mêmes, les faire comprendre aux autres. Les menuisiers, mécaniciens, serruriers, ouvriers en bâtiments, artisans des manufactures, et je pourrais citer tous les métiers, ont besoin de dessiner, ne fût-ce que pour concevoir les objets qu’ils sont chargés d’exécuter. En un mot, le dessin est un art qu’il faut posséder ; on doit le savoir lire et écrire, quoiqu’il exprime des figures réelles, et non des articulations et des sons. Introduit dans l’enseignement des classes inférieures, il doit contribuer à leur bien-être, et donnera à notre industrie le plus haut degré de splendeur. […] Ce bel art se divise en plusieurs branches très étendues ; mais on l’a limité à la seule partie qui soit à l’usage du peuple, le dessin linéaire.
[…]
Les bases dont nous sommes partis sont les suivantes :
1° Des figures de géométrie ont été disposées dans l’ordre de la difficulté du tracé, plutôt que selon celui des théorèmes ; ces dessins ont dû servir de modèle.
2° Chaque figure se rapporte à un commandement inscrit sur une tablette à l’usage des moniteurs.
3° Un travail préparé pour le maître, est destiné à le mettre à même d’instruire les moniteurs, de lever les difficultés que le tracé présente, et de lui faire comprendre le sens des divers commandements.
4° Enfin, selon le mode d’enseignement du calcul, on ne suppose au maître, aux moniteurs, ni aux élèves, aucune connaissance du dessin ; et cependant tous, à peu près aussi peu habiles, devaient arriver à tracer correctement toutes les figures d’ornements usités dans les arts, s’enseignant mutuellement ce qu’ils ne savent pas eux-mêmes ; et cela sans leçons spéciales, sans préceptes, et par le seul empire de l’exemple et de l’imitation.
[…]
Il est maintenant facile de concevoir les procédés qui ont été employés :
Les élèves dessinent debout sur un tableau noir, rangés comme dans les demi-cercles de lecture ; ou bien assis sur les bancs, à leurs places, armés de l’ardoise et du crayon. […] La règle et le compas ne sont jamais que dans la main du moniteur, comme un moyen de vérification. Une réglette divisée en centimètres et millimètres, nommée kutsch, sert au corrections des ardoises. Un mètre divisé est le bâton de commandement, et sert à vérifier les figures tracées sur le tableau noir ; un autre mètre fixé en haut du tableau sert à régler le coup d’œil : car, toutes les figures que les élèves doivent dessiner sont assujetties à avoir des dimensions que le moniteur fixe à volonté. Celles du litre et de l’hectolitre qui servent à mesurer les substances solides et liquides, sont même au rang des figures qui doivent être correctement dessinées.
Les apprentis dessinateurs sont partagés en quatre classes : les plus faibles tracent des droites, des parallèles, des perpendiculaires, des triangles, etc.
Dans la seconde classe, on fait des cercles, des polygones réguliers, et les figures planes qui en dépendent.
Dans la troisième, on imite en perspective quelques corps à trois dimensions, tels que les pyramides, prismes, cylindres, cônes, sphères, etc. ; il faut enfin que les élèves arrivent à tracer des ellipses et un rapporteur, et à faire à très peu près des angles d’un nombre de degrés donné.
Dans la quatrième classe, on dessine quelques traits d’architecture, des vases et des ornements de goût. […]
Dès la fin des années 1820, les exercices de dessin à main levée sont complétés par des tracés à la règle et au compas, qui donnent « plus de sûreté et de correction » : les élèves tracent une seconde fois, avec les instruments, l’ensemble des figures qu’ils ont auparavant dessinées à main levée.
À la fin des années 1820, géométrie pratique et dessin linéaire tendent parfois à se confondre. Car cette « géométrie populaire » qu’est le dessin linéaire permet de familiariser les élèves avec le calcul des surfaces et des volumes, mais aussi avec le système métrique, encore peu répandu. Paraît ainsi, en 1827, un manuel intitulé de façon significative Dessin linéaire et géométrie pratique1. De même, la troisième édition du manuel de Francœur, Dessin linéaire et arpentage (1832) comprend une nouvelle section consacrée à l’arpentage et au lever des plans, « sujet d’une grande utilité […] et qui se rattache d’une manière si naturelle au tracé géométrique2 »
L’enseignement conjoint, au niveau primaire, de la géométrie pratique et du dessin linéaire trouve donc sa traduction législative avec la loi Guizot de 1833. Mais alors que le projet du ministre mettait au premier plan le dessin linéaire et l’arpentage, et, d’une façon plus générale, les « applications de la géométrie pratique1 », le texte définitif va au-delà de ses intentions initiales : le législateur prévoit en effet que les élèves des écoles primaires supérieures se verront enseigner « les éléments de la géométrie », dont le dessin linéaire et l’arpentage ne sont que des « applications usuelles ». De fait, la loi Guizot établit, dans l’instruction primaire supérieure, un enseignement de géométrie qui fait office de cadre théorique, pour les activités de dessin comme pour celles relatives au mesurage.
Cette mise au premier plan de la géométrie, discipline foncièrement spéculative, n’est pas sans conséquences. Ainsi, l’administration ministérielle doit veiller à ce que l’enseignement primaire de la géométrie ne se calque pas sur l’enseignement secondaire, plus théorique et plus abstrait. Car, rappelons-le, au XIXe siècle, l’enseignement primaire, élémentaire ou supérieur, qui offre des études courtes aux classes « inférieures » ou « intermédiaires » de la société, doit revêtir un caractère essentiellement pratique, en prise sur la vie quotidienne ou professionnelle ; l’enseignement secondaire, en revanche, propose généralement, à l’intention des classes aisées, un enseignement de culture conduisant au baccalauréat, où domine l’étude des langues anciennes. La différenciation joue moins sur les contenus que sur les méthodes2. Un principal de collège, pourtant favorable à l’ouverture d’une école primaire supérieure au sein de son établissement, déclare ainsi en 1837 : « On ne doit pas perdre de vue que l’enseignement primaire, même supérieur, diffère essentiellement de l’enseignement secondaire, moins par les objets des études que par la méthode. Au collège, la théorie domine la pratique […]. À l’école au contraire, c’est la pratique qui doit dominer3 ». Aussi les finalités du dessin linéaire s’en trouvent-elles notablement modifiées. Son enseignement doit préparer au cours de géométrie auquel il est étroitement lié, mais sert en même temps à appliquer les notions théoriques étudiées. Ainsi, après 1833, certains manuels de géométrie offrent des applications pratiques en fin de chapitre telles que tracés de moulures, dallages ou parquetage4.
La géométrie ne peut pas recevoir chez vous [dans les écoles primaires supérieures] les développements qu'elle admet dans l'instruction secondaire ; l'enchaînement des propositions coordonnées pour parvenir aux grandes vérités, par une suite de vérités intermédiaires, sans brusque transition, a de grands avantages pour ceux qui doivent pousser leurs études mathématiques assez loin ; mais vos élèves pour qui l'énoncé même d'un théorème sera souvent suffisant pour en faire l'application, ne doivent pas être embarrassés dans de semblables détails ; la description des principales figures, les propriétés les plus remarquables qui s'y rattachent, appuyés sur les raisonnements les plus décisifs par leur brièveté, tels sont les principes généraux sur lesquels il est permis de se baser ; cependant il faut toujours qu'un raisonnement juste et simple vienne au secours de la mémoire qui, sans lui, n'aurait pas de fixité. Il ne faut pas, comme dans les classes plus élevées de mathématiques, permettre quelque négligence dans le tracé des figures ; pour ceux qui poursuivent la théorie il peut être permis d'affecter de l'indifférence pour le côté pratique ; pour vos élèves, qui d'ailleurs sont exercés dans le dessin linéaire, cette indifférence n'aurait pas d'excuse. À la suite de la géométrie viennent les applications, l'arpentage, le toisé, etc. Il ne suffira pas de faire souvent des applications sur le papier, avec des échelles dont l'unité sera la subdivision du mètre ; il est trop important de faire ressortir aux yeux de tous les avantages que l'on peut retirer de votre enseignement, pour que vous ne vous efforciez pas d'épargner à vos élèves les inconvénients de ne pouvoir faire usage des instruments les plus communs.
Publié dans R. d’Enfert, L’enseignement mathématique à l’école primaire, de la Révolution à nos jours. Textes officiels. Tome 1 : 1791-1914, Paris, INRP, 2003 (avec la collaboration de H. Gispert et J. Hélayel), pp. 84-85.
Plus qu’aucune autre branche d’instruction, le système métrique, l’arithmétique et les connaissances qui s’y rapportent se prêtent à l’enseignement par les yeux, c’est-à-dire à l’emploi des moyens sensibles, si nécessaires dans l’enseignement primaire pour donner aux enfants l’intelligence des choses. Ces moyens auront à la fois l’avantage de faire mieux comprendre les choses aux élèves, et d’intéresser vivement les familles qui comprendront mieux que par des procédés abstraits la portée de cet enseignement. Il ne suffit pas d’ailleurs de savoir opérer des calculs sur des quantités, des poids et des mesures exprimés en chiffres ; il faut encore savoir mesurer soi-même. Il y a donc là toute une série d’exercices bien plus attrayants pour les élèves dont ils utiliseraient le besoin d’activité, que des leçons purement théoriques et abstraites.
Exerçons donc nos élèves à mesurer toute espèce de quantités, des longueurs, des surfaces et des volumes. À défaut des instruments que l’école ne posséderait pas, les parents de nos élèves, un marchand, un fabricant, un constructeur, se feront un plaisir de nous prêter tous les instruments de pesage et de mesurage qu’ils possèdent. Au besoin même un mètre seulement, avec une ficelle ou un ruban de fil, nous suffiront pour habituer nos élèves à mesurer presque toutes les grandeurs, à trouver la surface d’un champ, d’un jardin, d’une cour, d’un mur, à trouver le volume d’un tas de terre, de sable ou de fumier, la quantité de matériaux qui entrent dans la construction d’un mur, le nombre de mètres de terre à extraire ou à transporter pour faire un certain travail, la capacité d’une cuve, d’un fossé, d’une grange ou d’un grenier.
Remarquons à ce sujet que, sans sortir du programme de l’enseignement élémentaire, nous donnerons, à propos du système métrique, toutes les notions de géométrie qui en sont le complément indispensable, et toutes celles qui sont réellement utiles, sinon nécessaires à tout le monde. Nous les donnerons sans livres, sans aucune dépense pour les familles, et en même temps nous les donnerons de la manière la plus agréable pour les élèves, en présence des objets auxquels elles s’appliquent, et en satisfaisant le besoin d’activité dont nous venons de parler et qui est un des caractères distinctifs de l’enfance.
Mais ce n’est point assez de savoir calculer la grandeur, le poids ou le volume d’un objet avec le secours des instruments propres à mesurer ces quantités. Nous n’avons pas toujours ces instruments sur nous ou à notre disposition. Ce sera donc rendre service à nos élèves que de les habituer à évaluer les poids ou les grandeurs à l'œil ou à la main. Les exercices de ce genre ne seraient pas ceux qui auraient le moins d’intérêt pour les familles. Exerçons donc nos élèves à apprécier avec la main le poids des objets et leur volume ; à évaluer à la vue la longueur, la largeur, la hauteur, la profondeur des objets, à en estimer l’étendue et la surface ; à juger des distances par la marche ou le nombre des pas ; à évaluer à l'œil le nombre de grains d’un épi, ou le nombre d’objets réunis dans un tas, celui des arbres qui se trouvent dans un jardin ou dans une portion de bois. Ces exercices, qui sont une excellente préparation au dessin, donnent à la main et au coup d'œil une sûreté et une précision dont on trouve sans cesse l’emploi. Une semblable aptitude serait hautement appréciée par les familles, dans les communes rurales peut-être encore plus qu’ailleurs, et les exercices qui auraient pour objet de la mettre en évidence seraient certainement au nombre de ceux qui feraient le plus goûter l’enseignement du maître.
Publié dans R. d’Enfert, L’enseignement mathématique à l’école primaire, de la Révolution à nos jours. Textes officiels. Tome 1 : 1791-1914, Paris, INRP, 2003 (avec la collaboration de H. Gispert et J. Hélayel), pp. 138-140.
Une leçon de choses géométriques ?
C’est la loi sur l’instruction primaire du 28 mars 1882 qui permet, après l’arrivée au pouvoir des républicains, de rompre avec les restrictions imposées par la loi Falloux. En particulier, la distinction entre matières obligatoires et facultatives est supprimée. Au calcul et au système métrique, qui formaient la base de l’enseignement mathématique primaire sous le Second Empire, sont substitués les « éléments des sciences mathématiques ». Un tel changement de vocabulaire est hautement symbolique : il indique la volonté de diversifier les connaissances enseignées dans le primaire, mais aussi de les rehausser. Commun aux écoles de filles et aux écoles de garçons1, le nouveau plan d’études des écoles primaires (arrêté du 27 juillet 1882) prévoit, outre le calcul et l’arithmétique, un enseignement de géométrie à tous les niveaux et non en fin de cursus seulement, comme c’était généralement le cas auparavant.
Deux facteurs contribuent au renouvellement de l’enseignement mathématique à l’école primaire, et notamment celui de la géométrie : l’organisation pédagogique et les méthodes d’enseignement. En premier lieu, le nouveau plan d’études adopte le principe de l’enseignement concentrique : l'enseignement est divisé en trois cours – élémentaire, moyen, supérieur – basés sur le même programme, de telle sorte que les élèves revoient chaque année les connaissances acquises antérieurement tout en les approfondissant. Non seulement il est alors logique que la géométrie soit enseignée dès l’entrée à l’école, mais cette organisation des études permet aux élèves d’aborder presque aussitôt la géométrie dans l’espace, contrairement à la tradition de la géométrie « classique » qui fait se succéder le plan et l’espace.
En second lieu, la « rénovation pédagogique » prônée par le ministère de l’Instruction publique incite à une révision des méthodes. Fondé sur l’observation du réel, l’enseignement doit être « intuitif et pratique » et procéder « du connu à l'inconnu, du facile au difficile ». Le programme de géométrie de 1882 reprend le principe de la « leçon de choses », mais est également inspiré des conceptions du pédagogue suisse Pestalozzi (1746-1827), conceptions revenues à la mode dans les premières décennies de la Troisième République : à l’observation des figures géométriques et à l’évaluation à vue des grandeurs (cours élémentaire), succèdent leur représentation graphique et l’étude de leurs propriétés (cours moyen), puis une approche plus théorique avec des « notions sommaires sur la géométrie plane » (cours supérieur). Observer, reconnaître, nommer, comparer, mesurer, dessiner : telles sont les activités auxquelles les élèves, surtout les plus jeunes, sont désormais invités à se livrer dans le cadre du cours de géométrie. La mesure des surfaces et des volumes n’est pas mise à l’écart pour autant, bien au contraire. Celle-ci demeure en effet un élément essentiel du programme d’arithmétique, en liaison avec l’étude du système métrique. Sans référence explicite à la géométrie, les épreuves du certificat d’études primaires (qui sanctionne les études élémentaires) témoignent de cette priorité donnée – et pour longtemps – au système métrique et aux questions de mesurage dans l’enseignement mathématique primaire3.
Plus que les instructions officielles qui concernent l’ensemble des matières, l’article « Géométrie » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson renseigne sur les méthodes et les objectifs poursuivis4. Son auteur – l’inspecteur général Pierre Leyssenne – y prône un enseignement concret, utilisant des solides en bois, en terre ou en carton, pour les plus jeunes élèves tout du moins : « Cet enseignement ne doit être qu’une leçon de choses appliquée […] à des objets de formes régulières et mesurables ». Mais le discours change de tonalité lorsqu’il s’agit du cours moyen ou du cours supérieur. À ce niveau, le cours de géométrie vaut surtout pour son utilité pratique : il doit faciliter « l’intelligence du système métrique » et permettre l’évaluation des surfaces et des volumes. On retrouve ainsi la priorité donnée au système métrique. En outre, Leyssenne fait clairement la distinction entre un enseignement primaire élémentaire privilégiant l’intuition sensible et l’activité des élèves – le dessin linéaire est mis à contribution –, et un enseignement primaire supérieur où la géométrie, bien que dirigée vers les applications pratiques, repose sur des démonstrations rigoureuses5. C’est, dans une large mesure, la position qui est officiellement adoptée pour l’enseignement des sciences physiques et naturelles : selon l’arrêté du 27 juillet 1882, celles-ci doivent être « présentées d’abord sous la forme de leçons de choses, et plus tard étudiées méthodiquement6 ». Mais une telle position, qui clive les méthodes d’enseignement en fonction de l’âge des enfants, ne fait pas l’unanimité. Dans une conférence donnée à des instituteurs et des institutrices, François Vintéjoux – un professeur du secondaire –, se prononce en faveur d’une initiation précoce et progressive au raisonnement mathématique afin d’habituer les élèves « à ne rien affirmer à la légère », et recommande d’aborder quelques démonstrations de géométrie dès le cours moyen78. On le voit, dans les années 1880, la question de la place respective de l’expérience et du raisonnement logique en géométrie n’est pas résolue.
C’est surtout pour l’enseignement des premières notions de géométrie que vous avez besoin de beaucoup d’initiative et d’une grande variété dans le choix des explications. Permettez-moi de dire ici que cet enseignement, qui serait si profitable à l’esprit, est un peu sacrifié dans la plupart des écoles primaires. J’explique ma pensée ; car je ne voudrais pas qu’elle pût être mal interprétée. Cet enseignement comporte, lui aussi, une première initiation, qui consiste à faire connaître aux enfants les figure planes les plus simples et à leur apprendre à les tracer, à leur montrer des modèles en relief des solides et à leur donner, au moyen de ces modèles, quelques notions sur les figures de l’espace. Vous abordez ensuite la mesure du rectangle et celle du parallélépipède rectangle, de manière à mettre les élèves en état de comprendre les questions pratiques les plus usuelles sur les surfaces et les volumes et de résoudre des problèmes sur le système métrique. Cette deuxième partie exige déjà quelques développements théoriques. Enfin, dès la fin du cours moyen, mais surtout dans le cours supérieur, vous devez, d’après les programmes, étudier les propriétés les plus simples des figures, en vue surtout d’en faire l’application à l’arpentage, au levé des plans et au nivellement. Dans cette troisième période, l’enseignement de la géométrie devient nécessairement théorique et comporte quelques démonstrations. Or ce n’est pas ainsi qu’on le comprend, en général. Voici ce qui ce passe le plus souvent : le maître définit les figures tant bien que mal, mal généralement puisque les définitions reposent presque toujours sur des démonstrations qu’il n’a pas données. Puis il passe en revue leurs principales propriétés, les énonçant avec une figure à l’appui, mais ne les démontrant jamais. Ce qu’il enseigne ainsi, ce n’est plus tout à fait du dessin linéaire ; mais une pareille nomenclature n’est pas non plus de la géométrie.
Il me semble qu’il y a mieux à faire que de pratiquer ce genre d’enseignement qui est sans nom, comme il est sans portée. Les élèves auxquels il s’adresse ont déjà l’esprit ouvert aux démonstrations. Ils ont déjà vu et ont dû comprendre des raisonnements difficiles, comme celui de la division ou du plus grand commun diviseur ; ils ont résolu de nombreux problèmes, souvent assez compliqués. Pourquoi les déclarer, a priori, incapables de comprendre les déductions de la géométrie ? Pourquoi bannir le raisonnement de cette science, qui est par excellence la science du raisonnement ?
Est-ce à dire que l’on puisse, même dans le cours supérieur de l’école primaire, procéder comme nous le faisons dans l’enseignement classique, démontrer toutes les propositions, en n’admettant que quelques postulats dont on réduit le nombre le plus possible ? Tel n’est pas mon sentiment. Au risque de porter une main sacrilège sur l’édifice élevé par Euclide et Legendre, il faut se résigner, dans la géométrie de l’école primaire, à admettre un certain nombre de propositions comme évidentes et, pour d’autres, à les énoncer seulement, en ajournant leur démonstration. Certaines propositions, qu’on démontre d’ordinaire, ont un tel caractère d’évidence, que les enfants ne comprennent pas la portée de la démonstration qu’on en donne, et qu’elle risque d’obscurcir pour eux ce qu’ils apercevaient clairement. On peut, par exemple, admettre comme évident qu’en un point d’une droite on peut mener une perpendiculaire à cette droite. De même, on pourrait se dispenser de démontrer la première proposition d’Euclide : « Dans un triangle isocèle, les angles à la base sont égaux, les angles sous la base pareillement égaux », ce qui simplifierait l’exposition des cas d’égalité des triangles. Toutefois, il est bien entendu qu’il ne faudrait pas aller trop loin dans cette voie ; on courrait le danger d’habituer les élèves à considérer comme évidentes des propositions qui ne le sont pas, qui souvent même ne sont pas vraies ou ne le sont que dans certains cas particuliers. Il y a là une sage mesure à observer. Quoi qu’il en soit, ce dont il faut se garder avant tout, c’est de donner des démonstrations qui manquent de rigueur. Le respect absolu de l’exactitude est le premier devoir du maître qui enseigne les sciences, et il n’est jamais permis, même dans le louable dessein de simplifier les explications, d’en donner de fausses ou d’incomplètes. Il arrive même, en général, que l’on manque le but qu’on voulait atteindre, et qu’on ne gagne pas en simplicité ce que l’on perd en exactitude. J’ai souvent remarqué en effet que lorsqu’on trouve dans un livre destiné aux enfants une mauvaise démonstration, elle est plus obscure et plus longue que ne l’eût été la bonne.
Publié dans R. d’Enfert, L’enseignement mathématique à l’école primaire, de la Révolution à nos jours. Textes officiels. Tome 1 : 1791-1914, Paris, INRP, 2003 (avec la collaboration de H. Gispert et J. Hélayel), pp. 240-248.
On assiste d’ailleurs, au tournant du siècle, à une forte remise en cause de l’enseignement « classique » de la géométrie au profit d’un mode d’exposition privilégiant l’expérience concrète, qui s’appuie sur des activités de dessin – dessin linéaire ou dessin géométrique – afin d’éclairer mais aussi d’appliquer les notions étudiées. L’enjeu est autant épistémologique que pédagogique : cette remise en cause, qui intervient dans le cadre d’une réflexion globale sur l’enseignement mathématique au niveau moyen (écoles primaires supérieures ou premier cycle du secondaire), est suscitée par des mathématiciens, comme Émile Borel ou Jules Tannery, désireux d’affirmer le caractère expérimental de leur discipline et se traduit notamment par un rejet de l’exposé euclidien classique, jugé trop abstrait. À la suite de la grande réforme de l’enseignement secondaire de 1902, elle va conduire, en 1905, à une importante refonte des programmes de mathématiques du premier cycle B (sans latin)1, lesquels seront repris en partie dans l’enseignement primaire supérieur en 1909.
Dans le primaire, au couple, désormais traditionnel, formé par la géométrie et le dessin, vient s’adjoindre une troisième composante : le travail manuel. Introduit dans les programmes de l’école primaire par la loi du 28 juin 1882, l’enseignement du travail manuel devait, à l’origine, permettre d’initier les élèves primaires au maniement des principaux outils pour le travail du bois et du fer. Mais dès les années 1890, les écoles élémentaires parisiennes s’orientent, sous l’impulsion de René Leblanc – un ancien instituteur devenu inspecteur général –, vers un travail manuel « sans atelier », privilégiant le caractère éducatif plutôt que les finalités professionnelles. Essentiellement fondé sur des exercices pratiques tels que pliages ou réalisations de solides géométriques, celui-ci met en jeu les notions étudiées dans le cours de géométrie, et peut mener les élèves vers des activités de dessin ou de mesurage, voire des résolutions graphiques de problèmes géométriques simples2. En 1907, Leblanc propose ainsi une série d’exercices de « géométrie expérimentale » destinés à constater certaines propriétés géométriques et à donner une approche plus intuitive des notions théoriques3.
Le nouveau programme de première année des écoles primaires supérieures de 1909 intègre, au niveau national cette fois, cette nouvelle collaboration disciplinaire. Ainsi, il est recommandé aux maîtres « de relier entre eux les enseignements de la géométrie, du dessin et du travail manuel ». Si le cours de dessin conduit à des mesures ou des tracés précis et permet d’introduire la géométrie de l’espace et les projections, des « exercices de géométrie expérimentale » (découpage, cartonnage, coupe de plâtre) sont également prévus au programme de travail manuel : « Bien des vérités géométriques essentielles peuvent être mises en évidence au moyen d’exercices de "géométrie expérimentale" figurant au programme de travaux manuels : on ne manquera pas de les faire constater par les élèves ; la démonstration rigoureuse des théorèmes qui les traduisent se trouvera ensuite fort simplifiée . Auxiliaire pédagogique du cours de géométrie au même titre que le dessin, le travail manuel le deviendra également au niveau de l’école élémentaire en 19231. Ces interactions disciplinaires resteront largement opératoires dans l’enseignement primaire jusqu’à la réforme des mathématiques modernes des années 1970.
Le travail manuel est admis, depuis quarante ans bientôt, parmi les disciplines de l’enseignement primaire. Mais quel que soit l’intérêt qu’il présente, soit au point de vue de l’éducation générale, soit au point de vue de l’éducation professionnelle, on ne peut pas dire que, sauf dans les écoles maternelles et les écoles de filles, il soit très régulièrement pratiqué.
Pourquoi cette innovation de la génération qui nous a précédés n’a-t-elle pas eu plus de succès. C’est d’abord parce que l’ancien plan d’études, trop exigeant pour cet enseignement, réclamait pour lui trop de temps […]. Les conférences pédagogiques de 1921, qui ont étudié la question, ont été unanimes à demander que cet horaire fût réduit. Le nouvel emploi du temps donne satisfaction à ce désir […]. Si l’on remarque que certains exercices pourront être exécutés dans les classes de géométrie, dans les classes de sciences physiques et naturelles, dans les classes de dessin, on ne sera pas tenté de croire que nous faisons à cet enseignement une place trop petite. Et, d’autre part, en réduisant d’un tiers ou de moitié l’horaire que lui assignait l’ancien plan d’études, nous avons la certitude de supprimer un des obstacles qui nuisaient à son succès : il sera d’autant plus en honneur qu’il portera moins ombrage aux autres disciplines.
Il leur portera d’autant moins ombrage qu’il s’associera plus étroitement à elles. Cette étroite association, le nouveau programme cherche à la réaliser. Et, sur ce point encore, il se conforme aux vœux des conférences de 1921. Si l’enseignement manuel n’est plus considéré comme une partie de l’éducation physique, s’il est placé, dans le nouveau plan d’études, immédiatement après le dessin, ce n’est pas seulement parce qu’il est par nature inséparable du dessin, c’est aussi parce que, comme le dessin géométrique, il se relie intimement à l’enseignement scientifique. Dès le cours préparatoire, jusque dans les jeux qui constituent pour les enfants de six ans l’essentiel du travail manuel, apparaît le souci de lier cet enseignement à celui de l’arithmétique : les petits travaux de découpage serviront à la représentation des nombres. Au cours élémentaire, les exercices habitueront les enfants aux figures géométriques : on construira des figures planes, on les combinera, on les décomposera en leurs éléments, on les superposera. Et de ces différentes opérations résultera une connaissance concrète des vérités géométriques élémentaires, la première révélation de ces vérités qu’ils apprendront ensuite à abstraire et à généraliser. Au cours moyen, le travail portera sur des figures géométriques plus compliquées, sur des solides ; mais le même profit sera tiré de cette alliance des deux disciplines : quiconque sait avec quelle difficulté les enfants et même les jeunes gens se représentent les figures géométriques « dans l’espace » comprendra de quel secours peuvent être pour l’enseignement mathématique des exercices ayant pour objet la construction matérielle de ces figures.
Conclusion
Bien que l’étude de la géométrie ne soit pas une priorité de l’école primaire au XIXe siècle, son intégration progressive dans l’enseignement mathématique dispensé, d’abord au niveau primaire supérieur, ensuite au niveau élémentaire, impose d’accorder contenus et méthodes avec les finalités de cet ordre d’enseignement. Se démarquant de celle, plus abstraite et plus spéculative, enseignée dans les lycées ou les collèges du secondaire, la géométrie qui s’élabore ainsi privilégie le « faire » et l’expérience sensible en mobilisant le dessin puis le travail manuel. Cette coopération disciplinaire n’est pas sans conséquences : non seulement elle favorise le contact des plus jeunes élèves avec des objets et des concepts géométriques, mais elle remet en cause les modalités « classiques » de l’enseignement de la science d’Euclide. Elle témoigne ainsi de la capacité de l’école à déranger les cadres traditionnels de l’enseignement pour bâtir des formes didactiques originales.
Bibliographie
Ressources sur CultureMath
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Les mathématiques et l’enseignement féminin en France, Nicole Hulin, 2006 (publié dans le Bulletin de l’Union des professeurs de Spéciales, n°197, janvier 2002, p. 12-17).
- De l’Association des professeurs de mathématiques (APM), Nicole Hulin, 2006.
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Pourquoi, pour qui enseigner les mathématiques ? , Hélène Gispert, 2007 (publié dans le Bulletin de l'APMEP n° 438 en janvier 2002).
Ressources externes
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L’enseignement mathématique à l’école primaire de la Troisième République aux années 1960: enjeux sociaux et culturels d’une scolarisation «de masse», Renaud d'Enfert, 2006.
- L’enseignement du travail manuel dans les écoles primaires de garçons: Travaux d’élèves de l’école Louis Vauquelin de Rouen, 1886-1887, Renaud D'Enfert, 2007
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L’enseignement des mathématiques dans ses liens à d’autres disciplines, une perspective historique, Hélène Gispert et Nicole Hulin, article paru dans le bulletin de l'Union des Professeurs de Spéciales, n°192, octobre 2000.
- Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire, Conférence faite le 3 mars 1904 au musée pédagogique par Emile Borel (avec une présentation de Hélène Gispert), Gazette de la SMF.
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Femmes et mathématiques dans le monde occidental, Renate Tobies, Gazette de la SMF.
- Avis de l'Académie des Sciences sur la place du calcul dans l'enseignement primaire de janvier 2007 et dossier sur le site EducMath (voir notamment un point de vue historique par Renaud d'Enfert).
À lire
Le dessin à l'école de 1800 à nos jours, Renaud D'Enfert, Daniel Lagoutte, Lyon, INRP, 2004.
L’introduction du travail manuel dans les écoles primaires de garçons, 1880-1900, Renaud D'Enfert, Histoire de l’éducation, n° 113, janvier 2007, pp. 31-67.
L'enseignement mathématique à l'école primaire, de la Révolution à nos jours. Textes officiels réunis et présentés par Renaud d'Enfert, avec la collaboration d'Hélène Gispert et de Josiane Hélayel. Tome 1 : 1791-1914. Paris, INRP, 2003.
Dans «Les Génies de la science», N° 31 mai 2007:
- L’enseignement du calcul à l’école primaire par Renaud d’Enfert.
- Les sciences au lycée : l’avis des savants par Hélène Gispert.
Quelques ouvrages disponibles sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France :
BUISSON Ferdinand (dir.), Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire , Paris, Hachette, 1887.
DALSÈME Jules, Enseignement de l'arithmétique et de la géométrie, Mémoires et documents scolaires publiés par le Musée pédagogique, 2 e série, fascicule n° 32,Paris, Impr. nationale, 1889.
F. P. B., Abrégé de géométrie pratique appliquée au dessin linéaire, au toisé et au lever des plans, suivi des Principes de l'architecture et de la perspective, Tours, Mame ; Paris, Vve Poussielgue-Rusand, 1851 (21 e éd.).
LAMOTTE Louis, Cours méthodique de dessin linéaire et de géométrie usuelle applicable à tous les modes d'enseignement. Deuxième partie - Cours supérieur , Paris, Hachette, 1843.
SARDAN, Dessin linéaire géométrique, ou Géométrie pratique à l'usage des écoles primaires, Paris, L. Colas, 1876 (5 e éd.).
Je remercie la directrice de la rédaction de la revue Trema pour son autorisation de publication sur le site Culturemath.
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