Si un mathématicien mange une pizza, doit-il choisir une pizza ronde ou une pizza rectangulaire ? Ça dépend s'il aime sa pizza avec beaucoup de croûte !
Traditionnellement les pizzas sont le plus souvent circulaires, certainement par l'habitude des pizzaiolos de faire tourner la pâte pour l'étaler, même s'il les vendent dans des boîtes carrées ! D'un autre coté, l'industrie agro-alimentaire a certainement intérêt à vendre des pizzas rectangulaires, pour optimiser le stockage et le transport de celles-ci. Il existe bien sûr des pizzas ayant des formes plus originales, comme les pides turcs (en forme de bateau). Mais quelle forme de pizza possède le moins de croûte, à aire égale ? Ce sont les théorèmes isopérimétriques qui peuvent répondre à notre question.
Théorème isopérimétrique dans le plan
En deux dimensions, un théorème isopérimétrique étudie les propriétés des formes géométriques du plan qui partagent le même périmètre (ou la même aire). Par exemple, un carré de coté $3$ unités et un triangle équilatéral de coté $4$ unités, ont tous les deux un périmètre de $12$ unités. Mais le carré a une aire de $9$ unités carrées alors que le triangle a une aire de $4 \sqrt{3}$ unités carrées, soit moins de $7$ unités carrées.
Quelle est la figure géométrique qui, à périmètre donné, possède l'aire la plus grande ?
Historiquement, les théorèmes isopérimétriques ont été étudiés depuis l'Antiquité. On imagine facilement les problèmes de partages de terres entre agriculteurs, ou l'optimisation des délimitations de villes ou de fortifications, auxquels les géomètres se sont attaqués au fil des siècles. D'après la légende, le seigneur Hiarbas aurait accordé à la reine Didon, à son arrivée sur les côtes de l'actuelle Tunisie, autant de terre que pourrait en contenir une peau de boeuf. Celle-ci fit découper la peau de sorte à obtenir une longue lanière, qu'elle utilisa pour délimiter la plus grande surface possible. Son terrain avait la forme un demi-cercle faisant face à la mer et fut assez grand pour fonder la ville de Carthage.
Si de nombreux mathématiciens se sont attaqués aux problèmes isopérimétriques et ont démontré des inégalités isopérimétriques, il faudra attendre les travaux successifs de K. Weierstrass pour la dimension 2 et d'H. A. Schwarz pour la dimension 3 pour obtenir des résultats définitifs1.
Le résultat qui nous intéresse peut être simplifié de la façon suivante :
Dans le plan, de toutes les surfaces fermées de même périmètre, le disque est celle ayant la plus grande aire.
Par conséquent, de toutes les pizzas de périmètre donné (c'est-à-dire ayant la même longueur de croûte), c'est la pizza circulaire qui a la plus grande aire. On en déduit facilement que de toutes les pizzas ayant la même aire, c'est la pizza ronde qui a le moins de croûte.
De façon plus formelle, ce résultat est équivalent à l'inégalité isopérimétrique suivante :
Inégalité isopérimétrique
Dans le plan Euclidien, soit $\gamma$ une courbe fermée, simple de classe $\mathcal{C}^1$ par morceaux, de longueur $L$ et d'aire $S$. Alors :
$$L^2 \geqslant 4 \pi \qquad \text{et} \qquad L^2 = 4 \pi S$$
si et seulement si $\gamma$ définit un cercle.
Il existe désormais de multiples démonstrations de ce résultat1. Si des idées géométriques simples ont permis à de nombreux mathématiciens d'avoir l'intuition de ce résultat et de l'unicité de sa solution, la plupart ont buté sur son existence. Ce n'est qu'avec le développement de nouveaux outils d'analyse, comme la topologie, que la démonstration fut établie.
Au-delà du plan
Et dans des dimensions supérieures ? Évidemment les notions d'aire et de périmètre ne sont plus appropriées : dans l'espace euclidien elles sont remplacées respectivement par le volume et l'aire. Au début du XIXe siècle, Schwarz parvient à démontrer que, dans l'espace euclidien, pour un compact $K$ de volume $V$ et dont la « frontière » a pour aire $S$ :
$$S^3\geqslant 36\pi{V}^2$$
avec égalité si, et seulement si $K$ est une boule. Autrement dit, la boule est le compact de l'espace qui, à aire fixée, a le plus grand volume2.
Ainsi, on pourrait suggérer aux pizzaïolos de proposer, en plus des pizzas rondes, des glaçons sphériques pour garder les sodas frais ! En effet, ces glaçons fondraient moins vite que des glaçons de formes différentes car à volume de glace donné leur aire est minimale. Ils se réchaufferaient donc moins vite.
En dimensions supérieures à $3$, l'inégalité isopérimétrique est plus délicate. On se place dans un espace euclidien $E$ de dimension $n \geqslant 4$, dont on note $\mu$ la mesure de Lebesgue. On rappelle que la mesure de Lebesgue est une généralisation de la notion de volume : en dimension $1$ il s'agit de la longueur, en dimension $2$ de la surface, en dimension $3$ du volume, etc. On note $\mathcal{B}$ la boule unité de cet espace euclidien. Soit $A$ un compact de $E$ dont on note $\partial A$ la frontière. Ainsi $\mu (A)$ peut être vu comme le « volume » de $A$. L' « aire » de la frontière de $A$, que l'on notera $\partial A$, est plus subtile à définir. En effet, si on a l'intuition qu'on pourrait la mesurer comme une variété d'un espace de dimension $n-1$, la pratique n'est pas si simple : dans quel espace se place-t-on ? $\partial A$ est-elle mesurable ? Des problèmes importants apparaissent. Nous allons donc plutôt utiliser pour cela la formule de Steiner-Minkowski : $$\lambda (\partial A) = \liminf\limits_{\varepsilon \rightarrow 0} \dfrac{\mu (A+ \overline{\mathcal{B}_\varepsilon}) - \mu(A)}{\varepsilon}$$ où $\overline{\mathcal{B}_\varepsilon}$ est la boule fermée de rayon $\varepsilon$.
Ainsi, l'inégalité isopérimétrique en dimension $n$ est : $$\lambda (\partial A)^n \geqslant n^n \mu(A)^{n-1} \mu(\mathcal{B}) \, \, ,$$ avec égalité3 si et seulement si $A = \mathcal{B}$.
Mais si on aime plutôt la croûte?
Et si au contraire un mathématicien aime les pizzas avec un maximum de croûte, quelle forme de pizza doit-il choisir ? Il pourra par exemple demander au pizzaïolo une pizza en forme de flocon de Von Koch : aire finie mais périmètre infini !