Dans le cadre de la mission SMART1, l'Europe a transféré en 2003 un satellite équipé d'un moteur électrique d'une orbite autour de la Terre vers une orbite autour de la Lune. Ce type de propulsion étant peu puissante, il est important d'évaluer la durée minimale du trajet : de la Terre à la Lune en temps minimum, donc1.
Dans Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Poincaré (1854-1912) définit à peu près ainsi le problème circulaire restreint des trois corps : deux masses qui s'attirent mutuellement décrivent des cercles concentriques autour de leur centre de gravité ; une troisième masse, supposée négligeable, subit l'attraction des deux premières sans influencer leur mouvement. Poincaré s'intéressait au système Soleil-Terre-Lune dans lequel la masse de la Lune est négligée. De même que l'orbite de la Terre autour du Soleil, l'orbite de la Lune autour de la Terre est quasi-circulaire et le problème restreint de Poincaré peut servir d'approximation pour l'étude du système Terre-Lune dans lequel le troisième corps est un engin spatial comme notre satellite ; la nouveauté dans ce cas étant que cet engin est doté de moyens de propulsion.
Mais peut-on envoyer un satellite d'une orbite terrestre vers une orbite lunaire, si petite soit la poussée disponible ? Oui, pourvu qu'une quantité appelée intégrale de Jacobi reste en deçà de la valeur qu'elle prend en un point particulier de l'espace nommé premier point de Lagrange ou point L1. Ce point, situé entre la Terre et la Lune sur l'axe qui les sépare, est caractérisé par le fait que les attractions des deux planètes s'y compensent exactement : un corps qui s'y trouve y reste indéfiniment (en théorie du moins ; le point n'étant pas stable, il faut en pratique exercer un certain contrôle pour y rester). Il existe en tout cinq points d'équilibre du problème restreint, appelés points de Lagrange, L1 à L5, couramment utilisés dans la conception de missions spatiales.
La détermination d'une trajectoire Terre-Lune en temps minimal est un problème de contrôle optimal. Dans les années 50, L. S. Pontryagin [en anglais] (1908-1988) et ses collaborateurs ont montré qu'on peut ramener le problème à la résolution d'une équation différentielle dont la condition initiale n'est qu'en partie connue. Une stratégie consiste alors à essayer de deviner l'information manquante sur le point de départ, puis à intégrer l'équation pour voir si on atteint la cible visée (une orbite lunaire, ici). L'écart à la cible constaté est utilisé pour corriger l'estimation de la condition initiale incomplète, et on recommence. Ce procédé s'appelle méthode de tir - c'est ainsi qu'on pourrait ajuster l'angle d'un canon en fonction de la cible et de l'erreur mesurée lors d’un tir précédent. Pour améliorer la convergence de cet algorithme, il est utile de simplifier le problème en supprimant dans un premier temps l'attraction de la Lune pour la réintroduire progressivement, et résoudre de proche en proche des problèmes qui sont des déformations du problème original. Cette idée de déformation continue jouait déjà un rôle important dans les travaux de Poincaré sur la théorie lunaire.
Pour en savoir plus :
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Brèves connexes : « Points de Lagrange et missions interplanétaires », « Un ellipsoïde peut en cacher un autre », « Richard Bellman et la programmation dynamique ».
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« Three-body problem », A. Chenciner.
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« Garder le contrôle... à l'aide des mathématiques », K. Beauchard, J.-M. Coron et P. Rouchon.
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